BLOGUE. Qui ne s'est jamais fait dire au travail : «Oui, c'est intéressant ce que tu dis, mais ici, c'est pas comme ça qu'on fait»? Je suis sûr que je viens de déclencher chez vous un petit sourire complice, et un peu amer.
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Car dans la très grande majorité des cas, nous nous plions tous aux règles établies. Et ce, même si l'on sait qu'on a raison, que notre idée qui bouscule les habitudes est géniale, pour ne pas dire vitale pour l'avenir de l'équipe et de l'entreprise. C'est comme ça.
Mon interrogation du jour : «Pourquoi est-ce comme ça?» Oui, pourquoi baissons-nous aussi facilement les bras? Par lâcheté? Par peur de devoir changer nos propres petites habitudes? Ou encore par doute, ne sachant pas au juste ce qui se passerait si l'on suivait notre idée, et donc si l'on dérogeait à la règle établie?
D'où le ravissement que j'ai ressenti en découvrant une étude intitulée Cooperation and defection at the crossroads, signée par Guillermo Abramson, professeur de science physique à l'Institut Balseiro de Bariloche (Argentine), Viktoriya Semeshenko, professeure de science économique à l'Université de Buenos Aires (Argentine), et José Roberto Iglesias, professeur de science physique à l'Université fédérale du Rio Grande do Sul à Porto Alegre (Brésil). Car celle-ci apporte une réponse vraiment intéressante à cette interrogation existentielle.
Les trois chercheurs se sont intéressés à un problème très simple. Ils ont imaginé le croisement de deux routes à sens unique et des voitures qui venaient de part et d'autre. Ils ont tenu compte de seulement deux variables : la vitesse des véhicules et la densité de la circulation. Et d'une règle de conduite unique : «Les conducteurs doivent toujours céder la priorité à droite». Bref, la situation qu'on connaît tous les jours quand on prend le volant.
Cela étant, ils ont considéré un autre point, qui fait tout le sel de cette étude. À savoir le comportement des conducteurs :
> Soit un conducteur est respectueux de la règle établie, et cède donc toujours la priorité à droite.
> Soit un conducteur est irrespectueux de la règle établie, et se lance donc dans l'intersection même si quelqu'un vient sur sa droite.
Les trois chercheurs ont établi un modèle de calcul simulant cette situation, puis ils l'ont entré dans un ordinateur, histoire de voir ce qui se produisait dans tous les cas de figure envisageables. Quand, par exemple, les voitures roulent très vite et il y a beaucoup de chauffards (c'est-à-dire quand il y a beaucoup de conducteurs qui ne respectent pas la règle établie); quand la densité du trafic est élevée et la plupart des conducteurs sont disciplinés; etc.
L'air de rien, ce qu'ils ont trouvé est passionnant…
> Bienfait des chauffards. Quand la densité du trafic est moyenne, la circulation est la plus fluide lorsque la moitié des conducteurs sont des personnes "décidées", c'est-à-dire qui accélèrent à fond dès qu'elles le peuvent et qui freinent à mort quand il le faut.
> Autre bienfait des chauffards. Quand la densité du trafic est élevée, la circulation est la plus fluide lorsque tous les conducteurs sont des personnes "décidées", c'est-à-dire qui accélèrent à fond dès qu'elles le peuvent et qui freinent à mort quand il le faut.
> Péril d'être trop respectueux. Quand la densité du trafic est élevée, la circulation se paralyse très vite quand tous les conducteurs sont respectueux de la règle établie.
> Danger des chauffards. Quand la densité du trafic est faible, les chauffards représentent un très grave danger. Car ils roulent à toute allure et provoquent vite fait des accidents, ce qui paralyse la circulation.
Les chauffards sont par conséquent dangereux lorsqu'ils déboulent à un croisement où il y a peu de circulation, mais sont en revanche nécessaires dès que le trafic commence à se densifier.
Dit autrement, ceux qui ne respectent pas la règle établie sont des dangers ambulants lorsqu'ils débarquent dans une petite équipe que se contente de sa routine. Mais surtout, ils ont un effet bénéfique sur une équipe de taille moyenne qui entend viser de nouveaux objectifs. Et ils sont carrément nécessaires aux équipes plus grosses qui ont de grandes ambitions. CQFD.
À vous de voir, maintenant, si l'équipe dans laquelle vous évoluez à besoin, ou pas, d'une personne disposée à brasser votre quotidien.
En passant, l'économiste français Jean-Baptiste Say a dit dans son Traité d'économie politique : «L'ignorance est attachée à la routine, ennemie de tout perfectionnement».
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