Petit retour en arrière. Songez à cette époque dorée où vous étiez un bambin, où le monde s'ouvrait à vous, avec ses charmes et ses dangers, tous aussi attirants les uns que les autres. Et à ces discours parentaux qui vous rabattaient les oreilles, du genre : «Ne fais pas ci, sinon tu va t'électrocuter! Ne fais pas ça, sinon tu vas t'étrangler!».
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L'objectif des parents était louable : éviter une catastrophe déclenchée par l'inconscience. La stratégie, extrémiste : appuyer son discours sur un scénario dramatique, pour ne pas dire apocalyptique. Et la rhétorique, toujours identique : «Si tu n'écoutes pas la voix de la sagesse (celle de tes parents), tu en payeras le prix fort, et tous ceux qui t'aiment aussi».
Mais voilà, est-ce là le meilleur moyen d'éviter qu'un tel drame se produise? En effet, à force de hurler au loup, ne risque-t-on pas justement de le faire venir? De fait, à force de dire à un bambin que la Terre allait s'arrêter s'il commettait une terrible bêtise, les parents ne glissent-ils pas en lui la tentation de vérifier tout cela? D'ailleurs, ne vous souvenez-vous pas de ce fameux jour où vous avez fini par tenter le diable? (Moi, j'ai voulu vérifier la soi-disant puissance de l'électricité, et me suis réveillé entouré de pompiers…)
Bon. Vous voyez. Maintenant, pourquoi vous ramener aujourd'hui à ces souvenirs tendres et douloureux à la fois? Parce que nous avons tous tendance à reproduire ce qui nous a été enseigné, y compris au travail : quel n'est pas le manager qui n'a pas, un beau jour, menacé son équipe de la terrible colère des dieux si tel ou tel comportement n'était pas adopté par chacun? Hein? Et parce que ce n'est peut-être pas la meilleure chose à faire pour motiver les uns et les autres à avoir l'attitude voulue.
Cette réflexion m'est venue à la découverte de l'étude intitulée This is your brain on law school: The impact of fear-based narratives on law students. Une étude signée par Abigail Patthoff, professeure de droit à l'Université Chapman à Orange (États-Unis). Une étude éclairante quant à l'efficacité réelle – et donc la pertinence – d'un tel type de discours…
La chercheuse a analysé une série d'expériences menées auprès de différents groupes de personnes, qui toutes visaient à voir comment les gens se comportaient face à une menace latente. Prenons un exemple, celui d'une expérience menée en 2006 par Rose Sprinkle et ses collègues dans le cadre de l'étude intitulée Fear in the classroom: An examination of teacher's use of fear appeals and students' learning outcomes.
L'expérience était très simple… Avant de devoir se lancer dans un travail complexe, 226 étudiants ont été soumis à un discours individuel délivré par le professeur. Le discours n'était pas le même pour tous :
> Menaces. Pour les uns, il s'agissait de menaces, en l'occurrence des conséquences en cas de piètres résultats.
> Encouragements. Pour d'autres, il s'agissait au contraire d'encouragements, en l'occurrence de conseils pratiques pour avoir de bons résultats.
> Menaces & encouragements. Pour d'autres encore, il s'agissait de menaces et d'encouragements à la fois.
> Ni menace ni encouragement. Pour les derniers, il n'avait été présenté ni menace ni encouragement.
Quelle incidence ont eu de tels discours? Stupéfiante :
> Moins motivés. Ceux qui ont reçu seulement des menaces se sont sentis moins motivés que tous les autres. Et ceux qui ont reçu à la fois des menaces et des encouragements se sont sentis moins motivés que ceux qui ont juste eu des encouragements.
> Plus isolés. Ceux qui ont reçu seulement des menaces ont moins eu le réflexe d'aller voir le professeur à la première difficulté rencontrée que tous les autres. Et ceux qui ont reçu à la fois des menaces et des encouragements ont eu moins le réflexe d'aller chercher les lumières du professeur que ceux qui ont juste eu des encouragements.
«Appuyer un discours de motivation sur des menaces lorsqu'on s'adresse à des personnes en proie à l'incertitude ou à l'insécurité, comme le sont la plupart du temps les étudiants en droit, n'est donc pas le meilleur moyen de les gonfler à bloc. Loin de là», résume Mme Patthoff dans son étude.
Pourquoi? Parce que, si prendre conscience d'un danger nous motive la plupart du temps à y faire face, il arrive toujours un moment fatidique où un cap psychologique est franchi, un cap qui fait que nous renonçons, que nous baissons les bras, que nous nous résignons à l'échec. Oui, un cap d'autant plus facile à franchir que notre moral est bas.
«Plus les gens ont déjà peur, plus les discours basés sur la peur peuvent avoir l'effet inverse de celui désiré, à savoir déclencher la panique au lieu d'inciter à serrer les coudes tous ensemble», souligne la chercheuse.
Alors? Que convient-il de faire? De ne plus jamais recourir aux menaces, même larvées? Non, c'est plus subtil que ça, comme l'indique Mme Patthoff.
Ainsi, l'idéal est, selon elle, d'agir en deux temps, lorsqu'on veut faire prendre conscience à quelqu'un l'importance cruciale d'adopter telle ou telle attitude :
1. Minimisez le niveau de danger
Il est ridicule de nier le danger encouru, surtout face à des personnes qui craignent d'y être confronté, un jour ou l'autre. C'est pourquoi, lorsque celui-ci pointe le bout de son nez, mieux vaut en parler ouvertement, mais en minimisant les risques qu'il présente. Et ce, en procédant comme suit :
– Prenez des pincettes. Présentez les faits, rien que les faits. Sans chercher à rien cacher, mais surtout sans mettre l'accent sur le pire des scénarios possibles.
– Ayez le sens du timing. Trouvez le bon moment pour parler des dangers encourus. Si vous sentez que certains sont anxieux, ne jetez pas de l'huile sur le feu. Attendez que les esprits soient calmes, pour qu'ils puissent mieux assimiler les informations inquiétantes que vous avez à partager avec eux.
– Ne personnalisez pas votre propos. Ne soulignez pas les conséquences personnelles pour chacun des membres de votre équipe en cas d'échec. Car cela risquerait de le faire paniquer, et un vent de panique finirait par souffler sur tout le monde.
2. Maximisez l'efficacité du frisson de peur
Lorsqu'il nous faut nous dépasser, rien ne vaut de ressentir au préalable un léger frisson de peur. C'est ce que déclenche en nous l'adrénaline dont on a besoin pour briller plus que jamais. Ce qui peut se faire comme suit :
– Cernez le danger. Un danger fait d'autant moins peur qu'il est cerné. On se dit dès lors qu'il est possible de le contourner, voire de l'affronter. Surtout si on s'y attaque tous ensemble.
– Soyez explicite. Présentez votre propre vision du danger encouru et n'hésitez pas à indiquer le meilleur moyen d'y faire face, selon vous. Cela permettra aux uns et aux autres de réfléchir posément, voire de présenter leur propre idée de la meilleure façon de s'y prendre.
Voilà. Faire face au danger tous ensemble, c'est toujours possible. Ce n'est qu'une question de méthode.
En passant, le poète allemand Friedrich Hölderlin disait : «Là où est le danger, là est ce qui sauve».
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