BLOGUE. Qui n'a jamais fait d'heures supplémentaires? Pour boucler un dossier, pour finir de rédiger un rapport, ou encore pour permettre à son équipe de respecter un dead-line. Ou même pour se faire bien voir de son boss. Mais voilà, j'ai une petite question insidieuse pour vous : ces heures-là ont-elles vraiment été les plus efficaces de votre carrière?
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Pas facile à dire, me direz-vous. Peut-être que oui, peut-être que non, on ne saura jamais au juste. D'où ma vive satisfaction en découvrant l'étude intitulée Working over time: Dynamic inconsistency in real effort tasks. Celle-ci est signée par un professeur de stratégie de l'École de commerce Haas (États-Unis), Ned Augenblick, et par deux professeurs d'économie de Stanford (États-Unis), Muriel Niederle et Charles Sprenger. Une étude, croyez-moi, riche en enseignements…
Les trois chercheurs ont réussi à convaincre 102 étudiants de Berkeley de participer à une expérience étalée sur une durée de sept semaines. Tous les lundis, ils se réunissaient tous ensemble et devaient accomplir, chacun de leur côté, les tâches suivantes :
> Retranscrire à l'ordinateur des phrases entières de grec ancien, à partir d'images de textes originaux difficilement lisibles. Et ce, sans faire la moindre erreur. (Cette tâche complexe demandait du temps, et il n'y en avait pas assez pour que ce soit fait le lundi-même.)
> Finir des parties déjà amorcées du jeu vidéo Tetris. Et ce, toujours sans faire la moindre erreur. (Là encore, cette tâche demandait du temps, et il n'y en avait pas assez pour que ce soit fait le jour-même.)
> Planifier le reste du travail à faire durant les prochains jours, en enregistrant sur un calendrier électronique partagé les moments de la semaine où l'on comptait s'y atteler.
Passé les trois premières semaines, les chercheurs ont introduit une nouvelle donnée dans l'expérience, l'argent. Deux possibilités s'offraient aux participants :
> Se résoudre, «le cas échéant» (en fait, les expérimentateurs savaient pertinemment que la mission était impossible à remplir dans le temps imparti), à ne pas terminer complètement tout le travail demandé d'ici la fin de la sixième semaine, et à ne toucher que la somme d'argent promise au départ.
> S'engager fermement à remplir la mission, «au besoin en faisant des heures supplémentaires», en sachant qu'une prime conséquente serait à la clé.
S'engager fermement? Cela signifiait indiquer dans le calendrier électronique partagé les heures supplémentaires prévues pour finir son travail, tout en ayant conscience que plus les heures s'ajoutaient, plus la prime grossissait, mais de manière régressive (par exemple, la première heure, on touchait une prime de 10 dollars, et la seconde, de 9 dollars).
Résultats? Mme Niederle et MM. Augenblick et Sprenger ont mis au jour trois faits fascinants…
> Trop optimistes. Quand on reporte du travail à la semaine suivante, on a tendance à en reporter plus que ce qu'on fera réellement. Autrement dit, nous sommes trop optimistes dans nos prévisions de nos efforts futurs.
> Une nécessaire carotte. Quand il nous faut faire des heures supplémentaires, la prime promise à la clé est un facteur de motivation indéniable.
> Le risque de procrastination. Quand il nous faut faire des heures supplémentaires, le fait de s'engager fermement à travailler un nombre précis d'heures est, lui aussi, un facteur de motivation indéniable. Car sinon, on a tendance à repousser "éternellement" le travail qu'il nous reste à faire, aussi infime soit-il.
Autrement dit, les heures supplémentaires ne sont pas si efficaces que cela, surtout lorsque les tâches à accomplir ne sont pas celles qui nous font le plus tripper. Cela étant, il existe des trucs pratiques pour que les heures supplémentaires soient tout de même productives, lorsque vous demandez aux membres de votre équipe d'en effectuer :
1. Proposez systématiquement une récompense. Celle-ci peut prendre la forme d'une somme d'argent, de journées de congé, ou un peu des deux à la fois.
2. Instaurez un calendrier partagé des heures supplémentaires. Cela permet à chacun de visualiser l'effort à fournir.
3. Demandez à chacun de s'engager à atteindre des objectifs précis et réalistes. Cela évitera que les uns et les autres ne se mettent, bien malgré eux, à procrastiner.
C'est tout. Et le tour est joué!
En passant, le poète latin Virgile a dit dans ses Géorgiques : «Un travail opiniâtre vient à bout de tout».
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