BLOGUE. Dans 1984 de George Orwell, le parti au pouvoir abreuve le peuple d'informations sur la guerre qu'il mène contre "les ennemis". Pour deux raisons : souder tout le monde derrière le leader et faire taire toute remise en question du pouvoir en place. Bref, Big Brother n'a de cesse de crier au loup pour asseoir son emprise sur tout un chacun.
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Petite question : sont-ce toujours les leaders qui crient au loup? Et si oui, dans quel but? Pat Barclay, professeur de neuroscience et de science cognitive à l'Université de Guelph (Canada), et Stephen Benard, professeur de sociologie à l'Université d'Indiana (États-Unis), ont tenu à le savoir. Et ce que révèle leur étude Who cries wolf, and when? Manipulation of perceived threats to preserve rank in cooperative groups est vraiment fascinant…
Ainsi, les deux chercheurs ont procédé à trois expériences, dont la première a permis de mettre au jour les principales trouvailles. La voici en détails.
Il a été demandé à 66 volontaires de participer à un petit jeu stratégique dénommé le "jeu des biens communs". Ce jeu se jouait à trois joueurs. Le but était simple : être le plus riche après vingt parties.
Au début du jeu, l'un des joueurs recevait 80 dollars – et devenait le "leader" – tandis que les deux autres avaient 50 dollars chacun, la répartition se faisant par tirage au sort. Tous devaient choisir combien ils mettaient dans le pot commun, sachant que la somme des trois mises serait multipliée par 1,5 et que la somme finale serait équitablement répartie entre les trois. L'intérêt de chacun est, on le voit bien, de mettre moins que les autres au pot pour récolter, au final, tout autant que les autres.
Pour pimenter le jeu, une règle particulière a été ajoutée. Au début de chaque partie, un ordinateur déterminait un pourcentage d'échec, c'est-à-dire le niveau de risque que personne ne gagne quoi que ce soit et perde même sa mise durant cette partie-là. Ce pourcentage était secret, car chaque joueur pouvait manipuler l'information.
Le principe était simple : un joueur pouvait modifier l'annonce du risque d'échec dans le sens qu'il désirait (en "plus" ou en "moins", sachant que la variation était de 0,5 point de pourcentage pour chaque dollar dépensé pour ça). L'ordinateur affichait alors à l'écran le pourcentage truqué, sans qu'on puisse savoir s'il a été modifié, ou pas.
L'intérêt de manipuler l'information? Prenons un exemple… En faisant croire aux autres que le risque d'échec est faible, un joueur peut inciter les autres à miser beaucoup d'argent pendant que lui en mise peu, si bien qu'au final, eux vont perdre une belle somme, et lui, presque rien.
Ce n'est pas tout. Les deux chercheurs ont ajouté autre règle. Il était possible, à chaque partie, de devenir le leader, et donc d'empocher au départ les 80 dollars au lieu des 50 dollars. Comment? À l'issue d'une partie où chacun a empoché de l'argent, on regardait si le montant d'argent des deux joueurs était supérieur à l'argent du leader. Si tel était le cas, le joueur qui était le plus riche des deux devenait le leader de la partie suivante. Sinon, c'était le statu quo.
Résultats? Voici les principaux :
> Surtout le leader. Le leader a plus tendance à manipuler l'information que les autres.
> Une nuisance. La manipulation nuit à l'esprit de coopération du groupe et exacerbe l'esprit de compétition. Du coup, elle nuit à l'enrichissement global du groupe.
> Une plus grande autorité. La manipulation permet de mieux asseoir son autorité, car elle décourage les autres de tenter de prendre la place du leader.
MM. Barclay et Benard ont effectué deux autres expériences, ce qui leur a permis de mettre au jour d'autres points intéressants :
> Compétition. Plus la compétition est forte, plus le leader a tendance à manipuler l'information.
> Coopération. Les personnes naturellement peu coopératives ont plus tendance que les autres à manipuler l'information.
De tout cela on peut retenir la chose suivante :
> Leaders, pensez-y à deux fois avant de crier au loup! Inconsciemment, vous pensez ainsi mieux asseoir votre autorité. Mais en réalité, vous ne faites qu'indiquer aux autres que vous vous sentez en danger, et surtout vous nuisez à l'efficacité de votre équipe.
En passant, l'écrivain anglais Daniel Defoe a dit dans Robinson Crusoé : «La crainte du danger est mille fois plus terrifiante que le danger présent».
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