BLOGUE. Les tricheurs, les menteurs, les manipulateurs, les corrupteurs… Le monde est-il peuplé uniquement de salauds? Les incroyables scandales qui ne cessent d'éclater au Québec depuis quelques mois, tant en politique que dans le milieu des affaires, semblent l'indiquer. À plus petite échelle, nous le constatons, nous aussi, dans notre quotidien : rappelez-vous ce commerçant qui, dernièrement, a tenté de vous rendre moins de monnaie qu'il ne devait…
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Du coup, le doute ne cesse de grandir dans nos esprits : à qui peut-on faire confiance aujourd'hui? Car la tricherie et la confiance vont toujours de paire : quand l'une sourit, l'autre fait la grimace. À force de se faire avoir, on finit par devenir méfiant, voire paranoïaque.
L'idéal? Mieux comprendre le mécanisme de la tricherie, et surtout le comportement que nous avons à son égard. C'est justement ce à quoi se sont attelés deux professeurs de l'Institut d'économie et de finance Einaudi à Rome (Italie), Luigi Guiso (finance) et Jeffrey Butler (économie), et une professeure de l'École de management Anderson à Los Angeles (États-Unis), Paola Giuliano (économie). Le fruit de leur travail figure dans l'étude intitulée Trust and cheating, qui montre qu'il y a un moyen très simple de limiter les risques de se faire avoir…
Il a été demandé à 428 étudiants romains de participer à une petite expérience, en quatre étapes successives :
> Jouer à un jeu où l'on est amené à faire confiance à quelqu'un qui est en mesure de tricher;
> Répondre à des questions sur leur conception de la tricherie;
> Répondre à d'autres questions sur ce qu'ils croient être la conception de la tricherie des autres;
> Donner quelques informations sur les valeurs familiales dans lesquelles ils ont été élevés.
Revenons sur le jeu en question, car il est intéressant… Chacun se voyait désigner aléatoirement un partenaire de jeu. Le joueur A était le donneur, et B, le receveur. A jouait en premier : il disposait de 10,50 euros (13,35 dollars) et se devait d'accorder le montant d'argent de son choix à B (il pouvait très bien ne rien lui donner du tout).
L'expérimentateur intervenait alors, en bonifiant la somme accordée. Et ce, toujours de la même façon : pour 1 euro donné, il en donnait 8,05 ; pour 2 euros, il en donnait 11,30 ; pour 3 euros, il en donnait 13,85 ; etc.
Puis, B devait à son tour rendre à A une certaine somme de l'argent reçu. En fait, la somme de son choix (il pouvait très bien ne rien lui accorder du tout).
On le voit bien, tout repose sur la confiance. A a tout intérêt à accorder une grosse somme d'argent à B, mais seulement s'il sait que B va être généreux avec lui. Et s'il a de gros doutes, mieux vaut pour lui rivaliser de prudence, voire carrément ne pas jouer avec lui.
Forts des données recueillies à partir des parties du jeu ainsi que des réponses fournies individuellement aux différents questionnaires, les trois chercheurs ont pu comprendre un peu mieux le mécanisme de la tricherie. Et surtout, des deux points de vue, c'est-à-dire tant de celui du tricheur que celui de sa victime. Trois enseignements :
> Personne n'est innocent. Chacun sait que la situation est propice à la tricherie et que quelqu'un peut très bien tenter de tirer la couverture à lui.
> Personne n'est vraiment dupe. L'un comme l'autre sait très bien quand il se fait arnaquer, c'est-à-dire quand l'autre tente de tirer la couverture à lui.
> Personne n'est idiot. Chacun agit clairement en conséquence de la possibilité de tricherie. Plus cette possibilité lui paraît grande, plus il se montre prudent.
Maintenant, reste le plus important : qu'est-ce qui fait que certains trichent, et d'autres pas (ou du moins, nettement moins)? Mme Giuliano et MM. Guiso et Butler avaient une intuition à ce sujet, et l'ont vérifiée : les responsables, ce sont les parents!
En effet, les trois chercheurs ont été en mesure de répartir les valeurs généralement prodiguées au sein de la famille en deux catégories distinctes : les valeurs de coopération et celles de compétition. Les premières peuvent se résumer par «le fait de toujours donner aux autres ce qui leur revient» ; et les secondes, par «le fait de toujours chercher à être meilleur que les autres». Il se trouve que certaines familles prônent plus la compétition que la coopération, et par conséquent inculquent des valeurs plus propices à la tricherie. Résultat? Elles forment, sans s'en rendre compte, de petits tricheurs en puissance.
«Les deux catégories de valeurs – collaboration et compétition – poussent dans des directions opposées. Les participants à l'expérience qui avaient été surtout élevés dans des valeurs de collaboration ne se sentaient pas franchement floués par le fait de ne recevoir que de petites sommes de la part de l'autre joueur. En revanche, ceux qui ont été éduqués dans un esprit de compétition étaient on ne peut plus sensibles à la tricherie», indiquent les trois chercheurs dans leur étude.
D'où cette idée toute simple pour limiter la tricherie autour de soi :
> Faites parler votre interlocuteur de son enfance, histoire de voir s'il a été élevé avec des valeurs de compétition ou de collaboration. Vous saurez dès lors juger du degré de confiance que vous pouvez lui accorder.
Bien entendu, certains me diront qu'on ne peut pas avoir ce type de discussion avec tout le monde. Ceux-là auront raison : pas la peine de philosopher sur la vie avec la caissière qui vous rend votre monnaie, il suffit de prendre le temps de compter les pièces que vous avez en main.
En revanche, cela peut très bien s'y prêter à des moments importants, comme :
> Au moment de se lancer en affaires avec un nouveau partenaire;
> Au moment de choisir le courtier qui s'occupera de placer votre argent;
> Au moment d'embaucher un jeune diplômé qui semble talentueux;
> Ou même, au moment de demander au chauffeur de taxi de prendre le chemin le plus rapide pour votre destination.
En passant, l'écrivain français Maurice Sachs a dit dans Derrière cinq barreaux : «Les tricheurs ne connaissent pas la vraie joie de gagner».
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