HELSINKI – J'ai passé une soirée extraordinaire à Kallio. Kallio? Ceux qui connaissent bien Helsinki doivent sourire en coin : c'est le quartier «chaud» de la capitale finlandaise..
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Eh bien non, désolé, je ne suis pas allé savourer ces plaisirs-là. J'y ai découvert, en fait, quelque chose de mille fois plus intéressant : la nature profonde des Finlandais. Rien de moins.
En début de soirée, à l'issue d'une entrevue – pour ceux qui ne le savent pas, je suis en Finlande pour un reportage sur le design thinking et ses merveilleuses applications au monde des affaires, non pour jouer au touriste –, j'ai pris le chemin inverse de l'aller pour rejoindre la station d'arrêt du tramway. J'ai marché. Marché encore. Marché encore plus. Et je n'ai pas trouvé la station d'arrêt.
Que s'est-il passé? Eh bien, moi qui croyais avoir un sens de l'orientation infaillible, j'ai dû revoir la haute opinion que j'avais de moi-même : je m'étais perdu. J'ai alors crû reconnaître un coin de rue, et j'ai changé de direction. Bref, j'ai tourné comme ça pendant un bon bout de temps, en vain. Je me suis finalement immobilisé au beau milieu d'une petite rue grise, où personne ne déambulait. Au loin, l'enseigne d'un bar : je m'y suis engouffré.
Ce bar, c'était un bar d'habitués. Pas très grand, quelques tables aux nappes plastifiées usées, des chaises que personne ne voudrait chez soi et des posters d'une autre époque. Mais surtout, une clientèle incroyable : des jeunes et des vieux qui parlaient ensemble, de dames d'un certain âge qui rigolaient et jacassaient entre elles, un pilier de bar agglutiné au comptoir, etc.
La chaleur humaine était telle que j'en ai oublié la raison de ma venue. Je me suis assis et j'ai commandé une Lapin Kulta. Bien vite, un type s'est assis et m'a demandé ce que je faisais ici, de manière un peu abrupte, mais j'ai senti que c'était parce qu'il tentait de vaincre sa timidité : la curiosité lui imposait de forcer sa nature. Je lui ai tendu la main, en disant «Olivier». Il m'a répondu en disant «Saku». Aussitôt, une lumière s'est allumée dans mes yeux – j'ai pensé à Saku Koivu, l'ex-capitaine des Canadiens de Montréal – et je lui ai fait part de l'idée qui m'avait traversé l'esprit. Il a rigolé, et on s'est mis à parler de hockey.
Les bières se sont enchaînées, d'autres habitués se sont greffés à notre table, la bonne humeur était communicative, quand soudain un musicien est entré dans le bar. Un gros bonhomme à la mine sombre qui traînait avec lui un accordéon qui semblait peser une tonne. Il s'est installé dans un coin et s'est mis à jouer... un air de tango!
Oui, du tango. Une musique triste et poignante, qui vient chercher tout le monde dans le tréfonds de son cœur. Tout le monde s'est tu. Au morceau suivant, les femmes se sont mises à chantonner, doucement, sous la voix puissante du musicien. Puis, des femmes sont allées chercher des hommes pour danser. Des tables ont été écartées pour donner un peu d'espace aux danseurs. Et j'ai vu devant mes yeux ébahis s'exprimer la douleur de vivre des Finlandais, mais une douleur prise à la légère grâce à la musique et au plaisir de danser. Par-delà le mal, la joie...
Saku m'a expliqué que le vrai tango se trouve aujourd'hui en Finlande, pas en Argentine. Le tango est venu jusqu'ici au début du 20e siècle et était la musique la plus populaire dans les années 1940, après la Seconde Guerre mondiale. Depuis une quinzaine d'années, il connaît un regain de popularité, avec les crises économiques qui se succèdent sans discontinuer...
Là, le musicien reprenait des airs connus. Ceux-ci parlaient, me disait Saku, d'amours malheureux, d'exil, des regrets et de la campagne finlandaise. Ils évoquaient les changements de saisons, avec des images convenues comme le fait que le printemps revient toujours. Ils chaviraient tout le monde, même moi qui n'y comprenait goutte. Et j'ai compris que l'on a parfois tout à gagner à se perdre...
(Note : j'ai réussi à trouver sur le Web un excellent vidéo sur le tango finlandais, joué, là aussi, dans un petit bar. Je vous invite de ce pas à le regarder. Vous comprendrez alors mieux ce que j'ai ressenti...)