BLOGUE. Nous sommes tous stressés, surtout au travail : un rapport complexe à rendre sous peu, une présentation inopinée à faire dans l'après-midi, etc. Si certains pensent qu'il est bon d'être stressé pour être performant, la plupart d'entre nous, il faut bien le reconnaître, considèrent plutôt le stress comme quelque chose de pénible, pour ne pas dire d'horrible à vivre. D'ailleurs, un chiffre ne trompe pas : aujourd'hui-même, quelque 500 000 Canadiens devraient être au travail, mais n'y sont pas, parce qu'ils sont en arrêt maladie à cause du stress.
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La question saute aux yeux, toute simple : «Mais c'est quoi le stress, au juste?» Une interrogation cruciale. Si cruciale même, que je vais vous laisser y penser une minute.
Oui, prenez le temps de répondre à cette question, qui peut paraître un peu ridicule a priori : «Quelle est votre définition du stress?»
Dès que vous aurez une réponse en tête, vous pourrez cliquer sur le petit «2» ci-dessous, pour y découvrir – accrochez-vous bien! – la réponse que vous avez trouvée. Si, si…
Voilà. Votre réponse est la suivante : «Le stress, c'est l'état dans lequel on se trouve quand on est pressé par le temps». Troublant – n'est-ce pas? –, que je puisse ainsi lire dans vos pensées.
En réalité, ce n'est pas si troublant que ça. Car il s'agit de la réponse qui est la plupart du temps donnée par les gens à qui l'on pose la question dans le cadre de sondages sur le stress. Le hic? C'est que cette réponse est erronée. Le stress, ce n'est pas du tout le fruit de la pression du temps, contrairement à ce que tout le monde croit.
C'est ce que j'ai appris hier lors d'une conférence formidable donnée par Pierrich Plusquellec, le codirecteur du Centre d'études sur le stress humain de l'Hôpital Louis-H.-Lafontaine de Montréal, dans le cadre de la journée Santé psychologique au travail organisée par Les affaires. Ce chercheur a décrypté avec brio ce qu'est le stress d'un point de vue scientifique, et par suite indiqué ce qu'il convenait de faire concrètement lorsqu'on voulait diminuer d'un coup notre stress…
Ainsi, M. Plusquellec a expliqué que le stress n'avait rien à voir avec la pression du temps, car cette dernière est subjective. Qu'est-ce que ça signifie? Que face à une même pression du temps (ex.: boucler un rapport complexe en quelques heures), certains vont se mettre à paniquer et ressentir un immense stress, alors que d'autres, au contraire, vont aussitôt se retrousser les manches et réussir à remplir leur mission sans souffrance psychique particulière.
Alors? Eh bien, le stress, c'est en fait une réaction normale du corps face à une menace. C'est d'ailleurs grâce à cette réaction que l'espèce humaine est toujours là : quand l'homme des cavernes se faisait attaquer par un tigre à dents de sabre, il lui fallait réagir au quart de tour, soit en prenant la fuite, soit en contre-attaquant. Le stress est donc, à l'origine, salutaire.
Pourquoi en souffrons-nous? Une petite plongée dans le corps s'impose pour le saisir…
Dès que le cerveau détecte une menace, il envoie un peu partout dans le corps des hormones comme le cortisol, qui mobilisent l'énergie nécessaire pour réagir au plus vite. Mais ce n'est pas tout. Une fois la réaction immédiate passée, les hormones remontent au cerveau, à deux endroits particuliers :
> Le cortex préfrontal, qui est le lieu des émotions;
> L'hippocampe, qui est le lieu de la mémoire.
L'explication de ce retour au cerveau est simple : toujours pour assurer notre survie, il faut que l'on se souvienne de la mésaventure qui nous est arrivée, sinon, l'on risque de se retrouver, un beau jour, une nouvelle fois en mauvaise posture. Reprenons l'exemple de l'attaque du tigre à dents de sabre : les hormones remontent au cerveau pour lui enseigner qu'il s'agissait d'une situation effrayante et dangereuse (émotions) et pour lui indiquer que la solution trouvée, la fuite par exemple, était la bonne (mémoire). Comme ça, la victime de l'attaque se souviendra toujours qu'il vaut mieux éviter de croiser ce fauve, et en particulier de revenir à l'endroit où s'est produit l'incident.
Les ennuis commencent à partir du moment où ce qui nous stresse se reproduit régulièrement. Une fois, ça va, on en sort même plus fort. Mais plusieurs fois, de manière répétée, là, ça ne va plus. Si notre chasseur était quotidiennement victime d'attaques de tigre à dents de sabre, il serait vite complètement stressé, voire terrorisé, et finirait même pas ne plus vouloir sortir de sa caverne.
Pourquoi la répétition pose-t-elle problème? Parce que, d'après M. Plusquellec, le cortex préfrontal et l'hippocampe finissent par s'adapter à la situation, à l'envoi régulier de cortisol. Cette adaptation peut prendre deux formes :
> Le corps décide d'envoyer du cortisol en continu, si bien qu'on est sur les nerfs en permanence : «On se met alors à croire que n'importe quoi peut devenir pour nous une menace. Le matin, le simple fait de laisser tomber par terre sa tasse de café peut suffire à gâcher toute la journée d'une personne stressée», a-t-il illustré.
> Le corps décide de stopper tout envoi de cortisol, si bien qu'on ne réagit plus à rien : «On se met alors à ne plus rien ressentir. Un gars qui se fait larguer par sa femme hausse des épaules, en se disant que c'est la vie».
Par conséquent, nous réagissons, les uns et les autres, de manières distinctes face à ce que nous interprétons être une menace pour nous. D'où cette nouvelle interrogation : «Qu'est-ce qui fait que nous jugeons certaines situations stressantes, et d'autres pas?»
Réponse? Des expériences menées par le médecin John Mason sur des singes a permis d'identifier les quatre facteurs principaux du déclenchement du stress. Soit :
1. Perte de contrôle. Le sentiment de perdre le contrôle d'une situation peut déclencher en nous du stress. Par exemple, le simple fait d'être pris dans un embouteillage peut stresser un automobiliste. Au travail, cela peut se produire, entre autres, lorsqu'on n'a pas vraiment la capacité de prendre des décisions qui nous concernent, ou encore lorsque nous pensons que nous n'avons que peu d'opportunités d'avancement professionnel.
2. Imprévisibilité. Nous pouvons ressentir un grand stress rien qu'en apprenant qu'il nous faut participer à une réunion à l'impromptu.
3. Nouveauté. Le stress peut venir à l'idée de changer d'ordinateur et de devoir s'adapter aux nouveautés technologiques qui vont avec.
4. Égo menacé. Que nos compétences professionnelles soient remises en question par un collègue ou un boss, et nous voilà immédiatement stressé.
Savoir cela peut permettre d'y voir plus clair sur le stress que l'on ressent au travail. Cela peut aider à aller plus loin que le «Mon travail me stresse», en identifiant par exemple que c'est, plus précisément, «Le fait que mon boss ne me dit jamais si ce que je fais est bien» (Égo menacé), «Le fait que j'ai un nouveau boss» (Nouveauté), ou encore «Le fait que mon boss organise tout le temps des réunions à la dernière minute» (Imprévisibilité).
Des indices corporels peuvent même nous indiquer que nous sommes stressés, avant même que nous le réalisions vraiment. En voici quelques-uns, indiqués par M. Plusquellec :
> Poignées d'amour. Qui dit stress dit gros besoin en énergie. C'est pourquoi le corps des personnes stressées se met à accumuler des poches de graisse, une source première d'énergie, au plus près des glandes surrénales, qui sont les émettrices des hormones du stress. Résultat? Des poignées d'amour voient le jour. («Bien entendu, ce n'est pas parce que vous avez des poignées d'amour que vous êtes forcément stressé, la bière peut aussi avoir un influence certaine», a souligné le scientifique.)
> Cholestérol. Le stress peut amener à prendre de mauvaises habitudes, comme de manger de trop grosses portions de nourriture et de fumer de plus en plus. Le risque est alors d'élever son taux de mauvais cholestérol et de diminuer celui du bon.
> Rythme cardiaque. Le cœur des personnes stressées se met à battre plus vite qu'à l'habitude. Cela peut, en bout de ligne, se traduire par des problèmes cardiaques.
> Rhumes à répétition. C'est l'effet de l'impact du stress sur les cytokines, ces molécules qui permettent aux cellules du corps de bien communiquer entre elles. Notre système immunitaire est amoindri, faute d'une bonne communication entre les cellules de notre corps, si bien que nous n'en finissons plus avec les rhumes, par exemple.
Intéressant, n'est-ce pas? Mais le plus passionnant est encore à venir. Car ces connaissances scientifiques sur le stress ont permis d'identifier des gestes très simples à faire pour parvenir à réduire d'un coup son stress.
Imaginons que vous devez vous rendre à une réunion de dernière minute, sans y être préparé, et que de surcroît vous savez qu'il vous faudra prendre la parole devant tout le monde. Vous êtes, et c'est tout à fait normal, stressé.
Maintenant, vous êtes capable d'identifier la source de votre stress. C'est, disons : Imprévisibilité, car la réunion n'était pas prévue à votre agenda; et Égo doublement menacé, car vous ne vous sentez pas prêt et vous devez prendre la parole.
Que faire? M. Plusquellec a quatre suggestions, applicables à n'importe quelle situation stressante :
1. Dépensez vite votre trop plein d'énergie. On a vu que le stress nous fait accumuler beaucoup d'énergie d'un coup dans notre corps, afin de pouvoir faire face à la menace ressentie. Il convient donc de vider ce trop plein. Comment? «En courant à votre réunion, par exemple. Ou en prenant l'escalier quatre-à-quatre au lieu de l'ascenseur. Ou si vous prenez la voiture, en chantant à tue-tête avec l'autoradio», recommande-t-il.
2. Respirez par le ventre. La respiration abdominale fait s'étirer notre diaphragme, et le simple mouvement de ce muscle freine les hormones du stress. «Assis à la table de réunion, vous pouvez discrètement gonfler lentement votre ventre, puis le dégonfler. Lentement, plusieurs fois. Vous aurez ainsi le contrôle de votre stress», dit-il.
3. Partagez vos soucis avec un collègue de confiance. À la réunion, essayez de vous asseoir à côté d'un collègue à qui vous pouvez tout dire, ou presque. Et glissez-lui à l'oreille ce qui vous stresse. «Rien que de le dire à quelqu'un qui peut vous soutenir, ça peut enlever tout votre stress», indique-t-il.
4. Souriez aux autres. «Une récente étude a montré qu'il suffit de sourire, même de manière un peu forcée, pour voir son stress diminuer de lui-même. On aurait tort de se priver de cette astuce», révèle-t-il.
C'est aussi bête que ça. Essayez, et vous verrez que ces trucs sont très efficaces. Garanti, puisque c'est scientifiquement prouvé!
En passant, un petit koan zen que je vous laisse savourer : «Le bambou existe au-dessus et au-dessous de son nœud».
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