BLOGUE. Connaissez-vous George Lois? Si vous fréquentez le milieu de la pub, sûrement, sinon, probablement pas. Il est souvent présenté – même s'il déteste ça! – comme l'homme qui a inspiré la télésérie Mad Men. C'est lui qui a signé nombre de campagnes qui ont fait date depuis les années 1960, comme le "Think small" de Volkswagen et le "I want my MTV" de la chaîne musicale américaine. On lui doit aussi des dizaines de couvertures du magazine Esquire entre 1972 et 1982, jetant un regard cru et percutant sur des sujets d'actualité comme le racisme, le féminisme, la religion et la guerre du Vietnam.
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Il faut croire que George Lois, aujourd'hui âgé de 71 ans, n'a pas fini de faire parler de lui. Il vient en effet de sortir un nouveau livre, intitulé Sacrés bons conseils (for people with talent!) [Phaidon, 2012], dans lequel il divulgue ses enseignements les plus précieux quant à la façon d'avoir une belle carrière. Des conseils qui s'appliquent, bien entendu, à n'importe quel corps de métier, pas seulement au milieu de la pub.
Voici une sélection de 13 de ses conseils…
1. Ayez le culte du travail
«Travailler dur et bien, c'est aussi essentiel que respirer.
«Faire du bon travail réchauffe le cœur et élève l'âme. Ceux qui ont la chance d'occuper leur temps à une activité qu'ils aiment et où ils excellent sont riches. Ne pas mettre toute sa passion (et même sa rage) pour devenir le meilleur au monde dans son domaine, c'est trahir son talent, son destin et son dieu.»
2. À toutes les étapes de votre carrière, réjouissez-vous de faire un métier que vous aimez (et d'être payé pour ça!)
«L'historien et philosophe Thomas Carlyle a écrit : "Béni soit celui qui a trouvé sa tâche. Qu'il ne cherche pas d'autre félicité". Au milieu de ma deuxième année au Pratt Institute, mon professeur de design, Herschel Levitt, me fait quitter l'école pour me placer dans l'agence de Reba Sochis. Je me souviens que j'étais sidéré de faire ce que j'avais toujours voulu faire – et en plus d'être payé! – et je me revois dans la file d'attente pour toucher mon premier salaire, ne croyant pas à la chance que j'avais. Soixante ans plus tard, l'émotion d'être rémunéré pour faire ce que j'aime est toujours là. Chaque matin, en prenant leur café avant de partir au travail, ceux qui, comme moi, connaissent ce sentiment doivent être conscients de leur bonheur.»
3. Montrez que vous existez
«En 1952, une semaine après mon retour de la guerre de Corée, je décroche chez CBS un poste de rêve comme maquettiste auprès d'un maître du graphisme, William Golden. Le deuxième jour, je m'apprête à lui présenter mon premier projet. Levant les yeux d'un volumineux dictionnaire, sa secrétaire a un sourire nerveux quand je lui demande à le rencontrer. "Allez-y", lâche-t-elle d'un air crispé.
«Tout au bout d'une vaste pièce, William Golden s'affaire au-dessus d'une table à dessin. J'entre et j'attends qu'il me regarde, mais il continue à travailler, les yeux rivés sur sa mise en pages. Je me racle la gorge. Il reste imperturbable. Il sait que je suis là et je sais qu'il ne lèvera pas la tête. C'est à qui cèdera le premier.
«Je reviens vers miss Kerner et je lui demande : "Puis-je vous emprunter votre dictionnaire?" M'emparant à grand peine du gros ouvrage, je retourne dans le bureau de Golden, m'arrête à un mètre de sa table, lève le dictionnaire à hauteur de ma poitrine et le laisse tomber : l'énorme volume touche le sol avec un bruit assourdissant. Le crayon jaillit de la main de Golden et son visage me fait brusquement face. "Oh! George, que puis-je pour vous?", s'enquiert-il. "Hum, je voulais vous monter l'annonce pour la série Gunsmoke". Je lui tends le papier. "Bien, George. Excellent!", me fait-il. Je reprends mon annonce et rends le dictionnaire à son assistante, médusée.
«Le lendemain matin, je reçois un coup de fil de Cipe Pineless, l'épouse de Golden, elle-même graphiste de talent, qui, avec un accent viennois à couper au couteau, me dit : "George, vous ne me connaissez pas, je suis la femme de William. Je voulais juste vous féliciter car vous, vous ne vous laissez pas avoir par son cinéma.»
4. Ne vous laissez jamais emmerder
«Si, dans une relation (avec votre patron, votre supérieur, votre associé ou votre client), vous vous sentez exploité à longueur de journée, soyez lucide : vous vous laissez emmerder. Si vous n'avez pas le courage d'y remédier, vous ne ferez jamais rien de bon. Alors, ayez ce courage!»
5. Ne soyez pas un pleurnichard
«Un client peut piétiner, démolir, anéantir tout ce que vous avez préparé pour lui, mais en aucun cas il ne doit nuire à la qualité de votre travail. Vous pouvez soit contre-attaquer en améliorant votre projet, soit trouver des clients mieux disposés.
«Dans mon domaine, tous les créatifs pleurent ces "pubs géniales" qui dorment dans du papier de soie au fond de tiroirs obscurs. Pour moi, si vous n'avez pas su convaincre votre client, c'est que le boulot n'était pas bon. Un être humain se jauge à ce qu'il accomplit. S'il y a bien une chose que je déteste, c'est l'amertume. Alors ne pleurnichez pas. Si vous voulez faire carrière, prenez vous-même en main votre destin et vos projets.»
6. Pas d'arrogance. De l'assurance
«Rien à voir : l'arrogance, c'est du vent; l'assurance, c'est de la confiance. Ne fanfaronnez jamais, sauf si vous vous appelez Mohamed Ali (qui, le lendemain de son championnat du monde victorieux des lourds, déclara : "Le coq ne chante que quand il voit la lumière. Mettez-le dans le noir et il ne chantera jamais. J'ai vu la lumière, alors je chante!"). Mais tout le monde n'est pas Ali.
«En tant que créatif, vous devez posséder assez de talent et de confiance pour être sûr que vos idées marqueront les esprits, qu'elles ont le pouvoir de faire bouger les choses. Si vous êtes chef d'entreprise, vous devez respirer la confiance. Et si votre domaine est celui de la création, vous devez savoir avec certitude ce que votre travail apportera au client et lui donner ce que vous lui avez promis (si vous n'avez pas le courage de promettre, vous n'atteindrez jamais l'excellence).»
7. Quand un dossier est urgent, ne dîtes pas "Je vous le laisse", dîtes "Je prends!"
«Travailler dans la publicité, c'est travailler au pays des délais perpétuels, ceux imposés par les clients, mais aussi (je le reconnais) ceux que l'on s'impose à soi-même. Toute ma vie, j'ai dit "Je prends!" au lieu de "Je vous le laisse". Dans la création, les plannings et les délais sont généralement démentiels. Quel que soit votre travail, faites-le vite, à temps et bien.»
8. Beaucoup de gens cherchent plus à garder leur travail qu'à faire du bon travail
«Si vous faites partie de la première catégorie, votre vie n'a pas de sens. Si vous appartenez à la seconde, continuez!»
9. Faire du bon travail, c'est savoir utiliser son temps
«C'est:
> 1% d'inspiration;
> 9% de transpiration;
> 90% de justification.
«Votre talent ne m'intéresse pas. Parmi les créatifs qui réussissent, il y a deux catégories : les bons créatifs occasionnels et ceux qui sortent régulièrement du lot. La différence? Les seconds savent justifier leurs choix et convaincre (leur entourage, leur patron, leurs clients, leurs avocats, les autorités de contrôle, etc.).»
10. L'énergie engendre l'énergie
«À nous, les accros du boulot, on demande toujours pourquoi on travaille tant. C'est moins une affaire d'éthique de travail et d'envie de réussir que de moteur. John Irving le dit très bien dans Le Monde selon Garp : "L'énergie engendre l'énergie".
«Quand on est vidé physiquement le moteur continue de tourner et fournit de l'adrénaline à l'esprit et au corps. Pour moi, les joutes physiques (je joue encore au basket) et intellectuelles (je suis toujours un passionné d'échecs) sont essentielles. Je suis convaincu que la dépense sportive et la réflexion face à l'échiquier sont à la fois les moteurs et les carburants de ma philosophie créatrice.
«Il n'est jamais trop tard pour s'y mettre et, si vous n'avez jamais abordé les savantes stratégies échiquéennes, méditez la définition créationniste qu'en donnait le biologiste Thomas Huxley : "L'échiquier est le monde, les pièces sont les phénomènes de l'univers et les règles du jeu sont ce que nous appelons les lois de la nature".»
11. Travaillez détendu
«J'ai alors une vingtaine d'années et un grand couturier m'explique la torture quotidienne que représente pour lui la création d'une ligne de vêtements : "Un véritable enfer", me dit-il. Je lui suggère ironiquement d'arrêter tout et de se faire embaucher comme docker.
«J'ai rencontré beaucoup d'hommes et de femmes qui travaillaient dur, mais qui étaient fiers de ce qu'ils faisaient, y mettaient tout leur cœur et avaient toujours le sourire. Quand on travaille dur, il est important de rire souvent, sinon on se transforme en robot et le travail s'en ressent. Nous ne sommes pas des oies à gaver : pour être productif dans l'univers qui est le mien, il faut au contraire laisser circuler les énergies librement, ne pas se laisser envahir par l'angoisse de la page blanche.
«J'aime que règne autour de moi une ambiance détendue, essentielle pour que je trouve goût et plaisir à mon métier. J'apprécie d'être entouré de gens souriants, rieurs et réceptifs à mes jeux de mots. La joie de créer, c'est la joie de vivre; elle doit imprégner et façonner nos relations de travail. Au travail, l'amour de la vie, la joie suprême de vivre et de travailler doivent être omniprésents.»
12. Travaillez confortablement
«Au lieu de fournir un travail neutre dans un environnement confortable, comme c'est souvent le cas (le monde est plein de gens qui doivent absolument vivre dans des lieux "qui ont une âme", ce qui, pour moi, est une manière de justifier un manque de rigueur), mieux vaut travailler confortablement dans un environnement neutre. Car moi, j'aime que le cadre soit rigoureux et le personnel, décontracté. Une équipe sereine, c'est le gage d'une ambiance propice à la créativité et à l'échange, où personne ne vit dans la crainte de dire une bêtise. Par ailleurs, je ne pense pas avoir eu une seule grande idée en costume-cravate.»
13. Votre environnement doit être le reflet de ce que vous êtes
«Un jour, j'ai rendu visite à un grand architecte et j'ai été effaré par le désordre et le mauvais goût de son bureau, aux antipodes des bâtiments et des lieux qu'il dessinait. Voilà quelqu'un qui passait son temps à organiser le monde avec harmonie et qui avait sous ses yeux, à l'endroit même où il travaillait, un capharnaüm.
«La seule chose qui ait droit de cité sur ma table, c'est le dossier en cours. Et dans mon bureau, il n'y a rien au mur susceptible de troubler ma réflexion (sauf une horloge Seth Thomas du 19e siècle). J'ai toujours été très attentif à mon environnement immédiat, et les objets, les surfaces et les formes qui m'entourent doivent correspondre à mes goûts esthétiques.
«Votre cadre de travail ne doit pas en imposer à vos clients (d'ailleurs, quand ils découvrent mon bureau, les miens posent invariablement sur moi un drôle de regard). Votre intérieur ne doit pas non plus en imposer à vos amis. Votre environnement doit être en accord avec ce que vous êtes, avec ce que vous aimez et avec ce que vous jugez important dans la vie.
«Quant à moi, cela se résume en trois mots : précision, simplicité, clarté.»
Voilà. 13 conseils de George Lois pour bien démarrer 2013, parmi les 120 que comporte son livre. 13 conseils aussi percutants que les slogans de pub qu'il a signés et, me semble-t-il, tout aussi efficaces. À vous d'en juger par vous-mêmes…
Pour finir, une interrogation existentielle que pose l'auteur au tout début de l'ouvrage, histoire de bousculer tout le monde. Une interrogation que je vous laisse soigneusement méditer L
«Il n'existe que quatre types d'individus. Lequel êtes-vous?
1. Intelligent et travailleur (Vous êtes parfait)
2. Intelligent et paresseux (Vous devriez avoir honte)
3. Médiocre et paresseux (Vous êtes nul et inutile)
4. Médiocre et travailleur (Là, vous êtes dangereux)»
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