BLOGUE. Créativité, créativité, créativité… Tout le monde ne jure que par ce mot, aujourd’hui (y compris le magazine Premium, qui en fera l’objet du dossier de son prochain numéro, en avril). Et ce, parce que chacun sait fort bien que sa survie en dépend grandement, en cette période de crise économique : seuls ceux qui sauront s’illustrer par leurs innovations radicales parviendront à maintenir la tête hors de l’eau. Mais voilà, comment faire pour innover? Eh bien, je pense qu’une bonne chose à faire, pour commencer, c’est de se plonger dans le tout nouvel ouvrage de Jonah Lehrer, Imagine : How creativity works (Houghton Mifflin Harcourt, 2012), en vente aujourd’hui-même au Canada.
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Jonah Lehrer? Il s’agit d’un blogueur du magazine Wired et d’un chroniqueur régulier du Wall Street Journal, entre autres. Ce jeune expert des neurosciences a signé plusieurs ouvrages remarquables, comme How we decide et Proust was a neuroscientist. Il jouit d’une notoriété grandissante, et va d’ailleurs donner une conférence à Montréal, le 24 mai prochain, dans le cadre de l’événement C2-MTL axé sur la créativité montréalaise. C’est donc dire tout l’intérêt de savoir ce qu’il pense, ou plutôt ce qu’il sait, sur la créativité, oui, sur ce qui fait que certains cerveaux semblent plus créatifs que d’autres…
Dans Imagine, M. Lehrer indique d’emblée qu’il est faux de croire que certaines personnes sont créatives et d’autres, pas. Il est erroné de considérer qu’il y a des Steve Jobs et des Bob Dylan, à qui tout semble facile, et nous autres, les tâcherons de la créativité, qui n’arrivons jamais à un résultat probant quand on nous demande d’innover. «La créativité relève du domaine de l’acquis, pas de l’inné. C’est un talent que tout le monde peut développer», dit-il.
Il convient donc de se demander ce qu’est la créativité. C’est tout bonnement une étincelle qui jaillit dans notre cerveau, à un endroit très précis dénommé le gyrus temporal supérieur, d’après une étude menée par Mark Beeman et John Kounios. Ces derniers l’on découvert en demandant aux participants à leurs expériences de faire preuve de créativité et en scrutant en direct ce qui se produisait dans le cerveau : il ont noté que cette petite partie du cerveau était systématiquement activée lorsqu’on trouvait une idée neuve.
Encore plus intéressant : savez-vous à quoi sert au juste le gyrus temporal supérieur? Il sert à associer des idées qui a priori n’ont rien en commun. Il sert à faire ce qu’on appelle des associations d’idées. Par conséquent, la créativité découle directement de notre capacité à associer des informations hétéroclites.
MM. Beeman et Kounios ont poursuivi leur travail, et se sont demandés ce qui pouvait favoriser le travail du gyrus temporal supérieur. Cela leur a permis de faire d’autres découvertes, que je trouve passionnantes :
> Ceux qui, avant de faire les exercices de créativité demandés, ont regardé un sketch humoristique de Robin Williams ont émis 20% plus d’idées créatives que les autres;
> Et ceux qui, au préalable, ont été enivrés à l’alcool ont eu 30% plus d’idées neuves (et intéressantes!) que les autres.
Que déduire de ces constats? Que l’idéal pour faire preuve de créativité est… d’être décontracté! Rire un bon coup avant de réfléchir est une bonne chose. Idem, être enivré (mais pas rond comme une queue de pelle!), et donc détendu, aide nettement plus que tous les Red Bull que certains – à tort – engloutissent avant tout effort cérébral.
«Le même phénomène explique pourquoi l’on trouve souvent de bonnes idées dans des endroits inusités, et non en s’échinant des heures sur une feuille blanche installée sur son bureau, dit M. Lehrer. On peut penser à Archimède et son bain, ou encore au physicien Richard Feynman, qui a révolutionné la mécanique quantique en rédigeant ses équations géniales… dans des clubs de danseuses nues!»
Pour avoir l’illumination, le meilleur truc est-il donc d’aller prendre une bière Chez Parée, en rigolant avec ses chums? Pas du tout! Ce serait trop facile. Toute véritable innovation est avant tout le fruit d’un long travail. L’étincelle de génie ne peut survenir qu’après cela, de manière, disons, imprévisible, c'est-à-dire à un moment où l’on ne s’y attend pas. Un exemple lumineux : Milton Glaser et son fameux logo «I Love New York» (avec un cœur au lieu du mot «Love»)…
En 1975, le designer Milton Glaser a accepté un mandat intimidant, à savoir concocter un logo pour la Ville de New York, un logo tellement génial qu’il donnerait envie à tout le monde d’y faire du tourisme. Il y a réfléchi des semaines durant, au point d’en être obnubilé, et a pondu le slogan le plus simple possible «I Love New York» (en toutes lettres). Son idée a suscité l’enthousiasme, et a été acceptée sur-le-champ.
Mais lui, sans trop savoir pourquoi, ne se sentait pas satisfait. Et il ne pouvait pas s’empêcher de continuer à y penser, sans en parler à qui que ce soit. Il devinait qu’il était passé à côté d’un coup de génie, mais était incapable de mettre le doigt sur ce qui n’allait pas dans son «I Love New York». Et un jour, à bord d’un taxi, c’est venu d’un coup : au lieu du «Love», il fallait mettre le dessin d’un cœur rouge. Aujourd’hui, qui sur la planète ne connaît pas le logo de New York…
La créativité est ainsi un savant mélange de travail et d’intuition. Elle peut donc être améliorée chez chacun de nous sur ces deux plans : en travaillant fort et en exerçant sans cesse son intuition (Steve Jobs recommandait de vivre «diverses expériences» afin de pouvoir, le moment venu, associer ensemble des enseignements que l’on a tirer de celles-ci). Jonah Lehrer, quant à lui, a émis dans un extrait de son livre publié par le WSJ 10 recommandations surprenantes, mais efficaces, pour qui veut devenir plus créatif :
1. Vive le bleu! Une étude a montré en 2009 que le cerveau humain est deux fois plus efficace pour associer des idées quand il est dans un environnement bleu. Le rouge, lui, est alors à proscrire, car il rend plus rationnel et empêche le cerveau de vagabonder.
2. Soyez fatigué. Une récente étude indique que les employés résolvent mieux un puzzle à la toute dernière heure de leur journée de travail que durant toutes les autres.
3. Rêvassez. Ceux qui laissent souvent vagabonder leur esprit émettent plus d’idées neuves que les autres, d’après une étude de Jonathan Schooler.
4. Pensez comme un enfant. Si l’on demande aux gens de penser comme un enfant de 7 ans pour résoudre un problème, ils imaginent plus facilement des solutions originales.
5. Riez un bon coup. C’est l’effet Robin Williams…
6. Détachez-vous du problème. On résout plus aisément un problème quand on croit qu’il concerne la Grèce ou la Californie que lorsqu’on sait qu’il nous touche directement.
7. Restez dans le flou. La formulation du problème n’est jamais innocente. Mieux vaut utiliser des verbes «vagues» plutôt que des verbes «précis», car le flou ainsi instauré permet, d’après une étude, d’être plus efficace pour le résoudre. Par exemple, au lieu de dire «conduire» dîtes plutôt «déplacer».
8. Travaillez «outside the box». Une expérience toute récente consistait à faire plancher des employés sur un problème, certains dans leur cubicule, d’autres, en-dehors de leur cubicule. Résultat? Ceux qui ont travaillé en-dehors de leur cubicule ont été les plus performants.
9. Allez voir ailleurs. Plusieurs études vérifient l’adage qui veut que les voyages forment la jeunesse, et par suite, la créativité. Car l'on acquiert de la sorte un paquet d'idées neuves qui nous serviront, un beau jour, à un coup de génie.
10. Vivez dans une métropole. Les inventeurs qui déménagent d’une petite ville à une ville deux fois plus grande produisent, rien que par ce changement, 15% plus d’inventions, selon une étude.
En passant, Louis Aragon a dit dans son Traité du style : «On sait que le propre du génie est de fournir des idées aux crétins une vingtaine d'années plus tard»...
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