Lorsque vous procédez à l'achat d'un titre, vous devez définir la proportion qu'il occupera dans votre portefeuille. Vous vous fixez également un prix cible correspondant à la valeur que vous estimez. En toute logique, la vente s'effectuera uniquement lorsque le prix souhaité aura été atteint. Est-ce logique?
Prenons l'exemple d'un titre fictif ABC acquis au coût de 20$. Vous pensez qu'à un ratio cours / bénéfices de 10 fois, vous détenez une opportunité très alléchante. Étant fortement confiant de la qualité de l'entreprise sous-jacente, vous initiez la position à raison de 20% du portefeuille. Vous vous attendez à doubler votre mise, vous procurant ainsi un rendement de 100%.
Or, le titre grimpe rapidement à 28$, sans l'ajout d'aucune donnée fondamentale par rapport à l'entreprise. Si les autres titres en portefeuille sont demeurés au même niveau, la pondération de ABC s'élève maintenant à près de 26%. Dans de telles circonstances, une question doit être soulevée : est-il logique de détenir un titre à raison de 26% du portefeuille alors qu'il est 40% plus cher qu'avant? Si vous acceptez d'emblée la nouvelle situation, alors posons la question autrement : n'aurait-il pas été logique de détenir davantage de ce titre alors qu'il se transigeait à un meilleur prix?
Voilà les deux situations en chiffres, avec le ratio cours / bénéfices :
Situation initiale : ratio c / b de 10, pondération de 20%.
Situation présente : ratio c / b de 14, pondération de 26%.
Parfois, il s'avère efficace de prendre du recul, et de considérer son portefeuille comme si tous les titres étaient liquidés. Ainsi, on recommence à partir de zéro, sans considération aux prix ou aux actions passées. Rachèterait-on exactement les mêmes titres avec les mêmes proportions?
À n'en point douter, un investisseur discipliné agirait différemment avec un nouveau portefeuille. Si un titre à un ratio de 10 fois mérite une pondération de 20% tout au plus, il devrait être détenu en quantité beaucoup moindre lorsque le ratio atteint 14 fois. Or, dans l'exemple précédent, le poids en portefeuille atteint une proportion beaucoup plus élevée, ce qui n'a pas de sens d'un point de vue mathématique.
Vous pourriez alors considérer réduire la position, au fur et à mesure qu'elle s'apprécie par rapport aux autres titres en portefeuille. Toutefois, la même question se pose dès qu'une variation se produit. Par exemple, lorsque le titre ABC atteint 24$, son ratio cours / bénéfice passe à 12 fois, et le pourcentage en portefeuille touche les 23%. Comme nous le constatons, nous pourrions appliquer ce raisonnement au moindre mouvement du titre, ce qui créerait des ventes partielles à répétition. Selon nous, cette façon de gérer s'avère peu pratique. Lorsque notre titre s'apprécie sans raison fondamentale, nous considérons qu'il se situe dans une zone grise.
Cette zone correspond aux niveaux de prix où nous ne sommes plus acheteurs, mais pas vendeurs non plus. Dans une telle zone, nous procédons régulièrement à une évaluation des rendements espérés par rapport aux autres titres disponibles sur les marchés. Revenons au cas du titre ABC, pour lequel le prix cible s'établissait à 40$, soit le double de la mise initiale. À 28$, nous obtenons un rendement potentiel futur de 43% (12$ de gains sur 28$), comparativement aux 100% prévus lorsqu'il avait été acquis au coût de 20$. S'il existe des opportunités nettement plus intéressantes sur les marchés ou avec les titres déjà détenus en portefeuille, une vente partielle ou totale peut s'avérer judicieuse, tout dépendamment du degré de conviction pour les titres considérés pour le remplacement.
Deux dangers à éviter
Vous devez éviter deux dangers fréquents dans ce genre de situation. Le premier réside dans le fait de vendre une position uniquement parce vous avez engendré un gain. Votre regard doit se diriger vers le futur, soit le gain potentiel à venir par opposition au prix que vous avez payé initialement. Ce danger comporte un nom : l'ancrage (cliquer ici pour visionner un de nos blogues sur le sujet).
Le deuxième danger réfère à la soudaine montée de confiance en vous qui peut se manifester lorsque les marchés vous donnent raison. On peut facilement développer le réflexe de se dire : ''si mon titre ABC a grimpé rapidement de 20$ à 28$, c'est parce que j'avais raison à propos de mon évaluation''. Ainsi, vous pourriez tout à coup souhaiter détenir plus d'actions, grâce aux doutes qui se sont dissipés suite à la montée du titre. Dans un tel cas, détenir 26% de son portefeuille dans un titre à 14 fois les profits semble logique plus que jamais, même si l'on préférait une pondération de 20% seulement alors qu'il était près de 30% moins cher!
Portez une attention particulière à ce genre de raisonnement, car peu importe notre niveau de connaissance en Bourse, nous pouvons tous en être victimes. Comme bien des investisseurs le disent, il s'avère plus facile de savoir le moment idéal pour acheter que pour vendre. La fameuse zone grise comporte bien des pièges.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com