C’est connu: emprunter pour investir comporte des risques, car il magnifie les pertes en cas de rendements négatifs. Pour éviter de subir ce malheureux résultat, quoi de plus naturel que d’éviter toute dette de cette nature? Pour les intéressés, un article a récemment été publié sur ce sujet sur LesAffaires.com.
Voici un cas typique. Un couple «A» détenant une hypothèque de 150 000$ sur une maison affichant une valeur de 200 000$ désire éviter de recourir à un emprunt supplémentaire de 50 000$ que leur offre leur banque afin d’ajouter ce montant aux investissements de 80 000$ qu’ils possèdent déjà. Certes, si les marchés rapportent gros, ils manqueront cette opportunité. Ils pourront cependant dormir en paix, sachant que quoi qu’il advienne, ils ne subiront pas les désagréments de l’effet levier. Vrai?
Faux.
Établissons une comparaison avec un couple «B» similaire dont la situation financière ressemble drôlement à celle-ci. Ce couple détient le même montant total de dette, mais elle est répertoriée de façon différente. Leur hypothèque initiale sur leur maison de 200 000$ atteint seulement 100 000$. Toutefois, ils ont emprunté par la suite 50 000$ afin d’augmenter leurs investissements de 30 000$ à 80 000$. Ils se retrouvent alors avec un prêt investissement. Certes, ils ont eu recours à une hypothèque supplémentaire sur la maison, car le coût des intérêts y est moindre. Ils auraient pu emprunter en utilisant une source de financement différente, mais cela n’aurait pas été dans leur «intérêt»!
Au final, le couple «B» affiche une dette totale de 150 000$, avec des investissements de 80 000$. La seule différence provient du fait que le couple «A» ne peut pas déduire les intérêts sur une tranche de leur prêt. En effet, le couple «B» jouit d’un avantage fiscal sur le tiers de leur hypothèque, étant donné qu’il a servi à procurer du revenu de placement.
Nous nous retrouvons donc avec deux situations financières très similaires, mais celle du couple «B» s’avère supérieure. Dans les deux cas, les risques s’équivalent. Vu de cet angle, comment peut-on affirmer que le couple «A» agit avec prudence vis-à-vis le couple «B», qui décida de recourir à l’effet levier?
Considérer le portrait global plutôt que les actifs séparément
Considérer le portrait global plutôt que les actifs séparément
La raison est bien simple. Afin d’obtenir le juste portrait de toute situation financière, on doit considérer l’ensemble des actifs et des dettes, plutôt que de les considérer séparément. Votre valeur nette totale variera en fonction de l’utilisation des emprunts, peu importe les actifs qu’ils financent.
Par exemple, admettons que vous possédiez un immeuble à revenu. Comme il s’est apprécié ces dernières années, vous songez à augmenter l’emprunt sur celui-ci de 25 000$ afin de vous payer des vacances de rêve. Vous dépensez donc ces 25 000$. Vous êtes donc certain de les «perdre». À l’opposé, si vous prenez ces 25 000$ et que vous investissez à la Bourse, vous pourrez déduire les intérêts, mais vous serez réputé avoir eu recours à l’effet levier. Quelle stratégie s’avère la plus risquée? Investir à la Bourse avec l’emprunt ou perdre l’argent de façon sûre en la dépensant?
Comme on le constate, il s’agit ici d’une façon de voir les choses. Pourtant, sur le plan mathématique, c’est rationnel. Un couple «C» possédant 50 000$ en argent comptant pourrait décider de ne jamais emprunter pour investir. Ainsi, ils décident d’investir ces 50 000$ à la Bourse, et de faire des courbettes pour réussir à acheter une maison sans y mettre un sou, empruntant 100% de la valeur. L’effet levier est bien réel, mais il passe inaperçu (du côté des investissements). Les emprunts sont comparés uniquement avec la valeur de la maison, alors qu’ils affectent pourtant l’ensemble de la valeur nette du couple.
En réalité, s’ils avaient voulu minimiser l’effet levier, le couple «C» aurait appliqué les 50 000$ comme mise de fonds sur la maison. Ils auraient alors accepté de ne pas détenir d’investissements.
Par conséquent, du moment que vous êtes le débiteur d’un prêt pour lequel la banque peut avoir recours contre l’ensemble de vos actifs, vous utilisez l’effet levier si vous investissez. Il peut s’agir d’un prêt auto, de solde sur carte de crédit ou de l’achat de meuble sur 36 mois. Si vous avez en même temps un REER, un CELI ou tout autre investissement, on aboutit au même résultat: vous bénéficiez (ou souffrez!) de l’effet levier.
Pour conclure, précisons que nous n’avons rien contre le recours à cette stratégie. Il faut simplement demeurer conscient de toutes les situations où il s’avère déjà utilisé!
P.S.:Nous avons omis de discuter des comptes marge. Ceux-ci comportent un risque nettement plus élevé étant donné les conditions reliées à la valeur des actifs fournis en collatéral.
Au sujet des auteurs du blogue: Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com