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Lorsque nous effectuons nos recherches de titres boursiers, nous tombons régulièrement sur un nombre incroyable d'entreprises peu rentables et déficitaires. À un certain point, nous nous demandons s'il ne vaudrait pas mieux que toutes ces sociétés disparaissent, puisque leur existence nous donne l'impression de nous faire perdre notre temps en tant qu'investisseur.
Or, en y réfléchissant bien, ces nombreuses entreprises qui s'avèrent peu intéressantes pour nos portefeuilles jouent un très grand rôle dans notre société. Ce que nous allons écrire plaira sûrement aux gens qui se considèrent ''socialistes'' sur le plan politique.
Que penser des entreprises qui sont peu ou non rentables, mais qui demeurent à la bourse sur un grand nombre d'années? Qui financent toutes ces pertes? Tout à fait : ce sont bel et bien les actionnaires. Ces derniers se retrouvent littéralement à financer des emplois, sans obtenir rien en retour.
Prenons le cas de Lime Energy Co. (LIME-Q). Cette petite société est déficitaire depuis au moins dix ans. Elle aide les entreprises à réduire leurs coûts d'énergie en leur offrant des programmes d'efficacité énergétique. Le nombre d'employés s'élève à 160. Le total d'actions émises a décuplé sur 10 ans. Les actionnaires ont remis du nouvel argent frais dans la société sur une base régulière, et des créanciers ont même converti leur dette en actions à un moment donné.
Qui sont les grands gagnants de la situation? Il ne s'agit certainement pas des actionnaires. Jusqu'à maintenant, la majorité de leur argent a abouti en pertes. Grâce à eux, les ventes ont connu une belle progression. Ces ventes, qui s'élèvent à 55M$ aujourd'hui en les annualisant, permettent d'effectuer des dépenses qui surpassent ce montant. Ainsi, en plus des 160 employés recevant un salaire, une foule de fournisseurs bénéficient de l'existence d'une telle société. À défaut de dégager un profit d'opérations, on favorise involontairement la circulation de l'argent, ce qui contribue à une saine économie.
Le gouvernement ne perçoit pas d'impôts sur les profits, mais il en retire sur les salaires versés à chacun des employés. Quant aux clients de la société, on peut penser qu'ils jouissent de services ou de produits à moindre prix. Si une société demeure déficitaire pendant longtemps en offrant un certain produit, on doit en conclure que le prix exigé n'est probablement pas assez élevé. Par conséquent, les clients ont la possibilité d'obtenir le produit à un coût inférieur à ce qu'il devrait normalement coûter.
D'autres sociétés ne sont pas nécessairement déficitaires, mais arrivent à peine à dégager un profit. Parfois, ces profits sont en dents de scie, certaines années produisant des gains, d'autres des pertes. En bout de ligne, l'actionnaire ne fait que prêter son capital sans aucun rendement sur celui-ci. La société Wells-Gardner Electronic (WGA-Q) fabrique des écrans vidéos pour l'industrie du jeu. Son rendement sur l'équité est anémique, et les actionnaires n'ont rien fait sur une très longue période de temps. Son dernier dividende en argent remonte à 1988!
Toutefois, ce type de société apporte le même genre de bénéfices à la société : des emplois et des revenus pour les fournisseurs. Pour les investisseurs que nous sommes, ce genre de titre peut parfois se transiger à un prix ridicule, et donc s'avérer une aubaine malgré la faible rentabilité. Cependant, un actionnaire de longue date finirait par perdre patience.
Voilà toute la beauté de la bourse : ce genre de société peut exister longtemps, car la bourse favorise la continuité de l'entreprise. Lorsqu'un actionnaire est fatigué d'attendre, il peut tout simplement vendre au plus offrant par le biais du marché boursier. Le nouvel actionnaire achète les actions, car il croit pouvoir tirer un profit à court ou moyen terme. Sur une longue période de temps, la moyenne des gains de tous les investisseurs ayant détenu le titre sera au mieux médiocre (à moins d'un revirement dans l'entreprise, ou une prise de contrôle à forte prime).
Donc, dans le cas des sociétés peu rentables, les actions sont simplement échangées selon l'humeur des actionnaires. Pour les sociétés déficitaires, des nouvelles émissions d'actions sont requises, jusqu'à ce qu'elles deviennent incapables de se financer. Dans les deux cas, la population en retire un bénéfice, et ce, aux frais des actionnaires. Ces derniers transfèrent leur argent et/ou tout revenu potentiel indirectement aux travailleurs et aux autres compagnies.
Les deux sociétés citées en exemple sont de très petites tailles, mais il s'agit de deux titres parmi un très grand nombre de titres dont l'entreprise sous-jacente affiche des caractéristiques semblables. Le marché boursier leur permet très probablement d'exister plus longtemps, et ainsi favoriser une plus grande compétition pour les entreprises d'envergure. Plusieurs de ces sociétés finissent par trouver le chemin de la rentabilité, et deviendront un jour des joueurs importants.
Finalement, existe-t-il un avantage quelconque pour le petit investisseur? Vous serez peut-être surpris, mais ce genre de sociétés explique certainement l'existence d'aubaines extraordinaires que l'on peut parfois trouver en cherchant minutieusement. En l'absence de toutes les sociétés qui ne nous intéressent point, celles qui sont plus rentables deviendraient plus évidentes aux yeux de tous. Les petits investisseurs persévérants ne pourraient donc plus espérer les dénicher à des prix d'aubaines.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com