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Les rachats d'actions constituent une utilisation intelligente du capital pour bien des firmes. Dans la plupart des acquisitions, il existe des inconnues qui posent des risques. En rachetant son propre titre, une société réinvestit en elle-même, dans ce qu'elle connaît normalement le plus : sa propre compagnie. Toutefois, pour que ces rachats enrichissent les actionnaires, le prix ne doit pas dépasser la valeur intrinsèque de l'entreprise. On doit garder à l'esprit que les rachats portent bien leur nom. Il s'agit d'acheter les parts de certains actionnaires à même les fonds de l'entreprise. Plus le prix payé est élevé par rapport à la valeur réelle, plus la société avantage les actionnaires sortants au détriment de ceux qui restent.
Néanmoins, il vaut mieux parfois payer un peu plus cher plutôt que de dilapider l'argent dans des acquisitions pour lesquelles on paierait un prix encore plus élevé! La tentation s'avère si forte pour les dirigeants de vouloir accroître leur entreprise (grosse entreprise = gros salaire), qu'ils sont souvent plus tolérants sur le prix des acquisitions lorsqu'ils y voient leur propre bénéfice.
Voici une société qui croit tellement aux avantages des rachats d'actions qu'elle risque une forte indigestion : Autozone (pour infos sur la compagnie). Un important actionnaire figure dans l'actionnariat. Il s'agit de ESL Partners, dont le président du conseil d'administration est nul autre que Edward Lampert, le célèbre gestionnaire de fonds de couverture. M. Lampert est bien connu pour son important investissement dans Sears Holdings, dont ESL Partners détient 60% des actions. Le moindre que l'on puisse dire, c'est que M. Lampert adore les rachats d'actions. Pour Sears Holdings, le nombre d'action a diminué de 29% en quatre ans. Quant à Autozone, depuis la venue de M. Lampert, le nombre d'action est passé de 154M à 43M en 13 ans, soit une réduction de 72%!
Si vous vous intéressez aux rachats d'actions, l'étude de cette compagnie constitue une bonne référence pour constater les effets de ce mécanisme. Prenons les résultats du dernier trimestre se terminant le 7 mai 2011. Les profits ont augmenté de 12,1%. Cependant, les profits par action ont grimpé de 28,5%! Toute une différence.
Pour expliquer ce grand écart, on doit observer le nombre d'actions d'une année à l'autre. Nous notons une variation de - 12,7%. Cette baisse se traduit par une augmentation des profits de 14,6%. Pour arriver à ce chiffre, il faut diviser 12,7 par 87,3 (100 - 12,7). Or, si l'on additionne la croissance dûe au rachat et la croissance des profits, on obtient 26,7%, ce qui est légèrement inférieur aux 28,5% réels. Il faut donc prend soin d'inclure l'augmentation des profits de l'année afin d'appliquer la croissance reliée aux rachats d'actions. Comme les profits ont crû de 12,1%, l'avantage du rachat affecte également les profits de l'année, ce qui donne une augmentation supplémentaire de 1,8% (12,1% x 14,6%).
Les rachats peuvent donner des résultats extraordinaires pour une compagnie dont les résultats sont plutôt ''ordinaires''. La croissance des ventes des 10 dernières années d'Autozone a été de 5%. Les profits quant à eux ont crû de 11 à 12% grâce à une belle augmentation des marges. Pour les profits, il s'agit d'un estimé, car durant l'année 2001, d'importants coûts de restructuration non récurrents ont eu lieu. Nous les avons donc ajustés à la hausse afin d'en tenir compte. Une croissance de 12% par année est considérée comme étant très satisfaisante, mais si on jette un coup d'oeil aux profits par action, tout en ajustant également les profits de 2001, la progression impressionnera davantage. Nous obtenons entre 22 et 23% par an! Il ne fait nul doute que les rachats peuvent contribuer fortement à l'enrichissement des actionnaires. Le titre d'Autozone a décuplé ces 10 dernières années.
Il subsiste un grand bémol à ces rachats : il ne faut pas en faire une indigestion! Autozone a procédé à tellement de rachats que son équité est fortement négative, et son bilan est endetté. En effet, la société n'a pas hésité à grugé toutes ses réserves financières afin de consacrer plus d'argent aux rachats que ce que pouvaient lui permettre ses profits. Elle a même eu recours à la dette. Sa valeur au livre des 10 dernières années présente parfois des anomalies. Sur cette page de Morningstar, vous pouvez constater à la 9e ligne (Book Value Per Share) que la valeur nette par action est passée de 1,98$ à 4,92$ en 2005. Ces chiffres pourraient laisser croire que l'entreprise a généré assez de profits en une seule année pour doubler sa taille. En réalité, il n'en est rien.
La société a simplement racheté moins d'actions que l'année précédente, ce qui permit de laisser en réserves une partie des profits. Comme l'équité affichait un montant minime, ayant pour cause les énormes rachats des années précédentes, il fallait très peu d'argent pour créer une forte croissance. Si vous avez 5$ dans un compte de banque, et que vous décidez de déposer 10$, vous aurez triplé votre encaisse, mais on peut difficilement dire que vous avez accompli un exploit!
Vous remarquerez, toujours sur le lien de Morningstar, que la valeur au livre récente affiche un montant négatif de 24,89$. C'est le reflet d'une équité négative au bilan de 1,1G$, sans même avoir pris en compte les 364M$ d'actifs intangibles qui plongent davantage cette équité dans le rouge. La dette à long terme quant à elle s'élève à 3,2G$.
Pour le moment, rien d'alarmant ne survient chez Autozone. Ses marges font l'envie des compétiteurs, et ses profits croissent. Qui plus est, ses inventaires sont totalement couverts par les comptes payables, ce qui indique que Autozone jouirait d'excellentes conditions auprès de ses fournisseurs. Cependant, nous croyons qu'il n'est pas très prudent d'investir des montants supérieurs aux profits pour racheter son titre. À long terme, on joue avec le feu, et la belle croissance que l'on crée est obtenue aux dépens d'un bilan qui se détériore.
Si vous regardez le bilan de Moody's (voir le dernier 10-q pour son bilan), vous remarquerez qu'il présente également de la dette et une équité négative. Cette société avait elle aussi utilisé une stratégie similaire il y a quelques années. Cependant, contrairement à Autozone, Moody's n'oeuvre pas dans le secteur de la vente au détail. La valeur de Moody's réside davantage dans l'intangible que dans les actifs tangibles ; et dans bien des bilans, la plus-value des actifs intangibles n'est pas reflétée.