Lorsque les rendements ne sont pas au rendez-vous, il s'avère naturel pour un investisseur ou un gestionnaire de portefeuille de remettre en question sa méthodologie et sa philosophie de placement. Ce fut notamment le cas de Steve Eisman, fondateur de la firme de fonds de couverture Emrys Partners. En juillet 2011, il avait quitté FrontPoint Partners afin de créer sa propre entreprise. Notons que la célébrité de M. Eisman découla principalement de son pari contre l'immobilier américain ''subprime''.
En 2007, il en récolta les fruits, et les deux fonds qu'il gérait chez FrontPoint, Financial Horizons et Financial Services, enregistrèrent des gains de 81% et 66% respectivement.
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Sa notoriété fut davantage alimentée par la mention de son pari dans le livre 'The Big Short: Inside the Doomsday Machine écrit par Michael Lewis en 2010. Une telle capacité à prédire, et surtout, à profiter de l'éclatement de la crise ne passa pas inaperçu aux yeux des investisseurs.
Lorsque M. Eisman quitta FrontPoint, il n'eut pas de difficulté à trouver des clients. Toutefois, les rendements n'ont pas été à la hauteur des attentes. Selon un article du site Institutional Investor, au moment de délaisser FrontPoint en juillet 2011, ses deux fonds battaient de l'aile. Les rendements furent de -3,2% et -5,3% au premier trimestre, précédés des pertes de 7,7% et 8,5% respectivement en 2010.
Quant aux performances produites avec sa propre firme, elles ne sont guère plus réjouissantes. Bien qu'on soit en territoire positif, la comparaison pâlit avec les indices boursiers : 2,6% en 2012 et 10,8% en 2013. Rappelons-nous que 2013 fut particulièrement lucrative pour les investisseurs, alors que le S&P 500 explosa de 30%. Quant à 2014, la performance de M. Eisman se retrouverait apparemment dans le rouge, malgré la hausse des marchés.
Une déclaration suprenante
Nous pouvons comprendre une certaine remise en question lorsqu'on peine à dégager des rendements. Toutefois, la réaction de M. Eisman a de quoi nous surprendre. Non seulement il procéda à la fermeture de son fonds cet été, mais il déclara : «'Prendre des décisions d'investissement uniquement sur la base des données fondamentales des entreprises individuelles n'est plus une philosophie d'investissement viable».
Vous vous doutez bien que nous sommes totalement en désaccord avec un tel énoncé. Notre propre philosophie repose principalement sur cette approche. Si les profits et la situation financière d'une société ne constituent pas le point de départ afin d'évaluer une entreprise, sur quoi d'autre pourrions-nous baser nos décisions?
Certes, il arrive fréquemment que la réaction en Bourse se fasse attendre plus longtemps que nous l'espérons. Par exemple, un titre ''X'' se transigeant à 10$ et pour lequel nous entrevoyons une valeur de 15$ peut stagner en Bourse pendant des mois, voire des années. Pendant ce temps, un autre titre nettement moins alléchant doublera pour aucune raison, étant simplement influencé par l'engouement que les investisseurs portent à son égard. Nous vivons régulièrement ce genre de situation. Or, la réalité veut qu'en Bourse, les titres sont la plupart du temps bien évalués ou surévalués. Même si nous sommes témoins de la surenchère de beaucoup de titres, nous ne cherchons pas à en profiter. Nous estimons que nous risquerions de perdre de l'argent à long terme, ou au mieux, nous gagnerions moins d'argent.
Si l'analyse fondamentale fonctionnait toujours à court terme, nous nous enrichirions très rapidement!
À n'en point douter, si nos titres s'appréciaient systématiquement afin de rattraper les niveaux d'évaluation attribués à l'ensemble des autres titres du marché, nos rendements seraient extraordinairement élevés. Néanmoins, la Bourse ne fonctionne pas de cette façon. Nous devons faire preuve de patience, tout en bénéficiant du réconfort que nous amène la marge de sécurité lorsque nous achetons des titres à fort escompte.
Si vous vivez une longue période de déception quant à vos rendements, vous devez remettre en question vos choix de titres, plutôt que d'en venir à la conclusion que l'analyse fondamentale est devenue désuète. M. Eisman songe peut-être aux titres vendus à découvert lorsqu'il estime que l'analyse fondamentale ne fonctionne plus. Dans un marché haussier, il s'avère extrêmement difficile de profiter de la baisse des actions, peu importe leur haut degré de surévaluation. Nous pensons qu'il est plus difficile d'appliquer notre approche sur la vente à découvert que sur la simple détention d'actions à long terme. En territoire de surévaluation, le comportement d'un titre devient très imprévisible. Comme le disait le célèbre scientifique Newton au 18e siècle : ''Je peux mesurer le mouvement des corps, mais je ne peux mesurer la folie des hommes.''
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com