Nous avons récemment souligné la faiblesse des modèles financiers afin de tenter de prédire le cours futur d’une action (cliquer ici pour le blogue sur les modèles). Nous avions utilisé Bank of America (NY., BAC, 17.41$) comme exemple, pour laquelle un taux de 8,5% de croissance des profits avait été sélectionné. En l’absence de projections, comment peut-on estimer alors la valeur de cette banque?
Pour la plupart des financières, les deux mesures auxquelles nous avons le plus recours constituent le rendement de l'avoir net tangible ainsi que le ratio de la valeur marchande sur la valeur de cette équité. En termes plus simples, nous cherchons à savoir quel multiple de la valeur comptable nous devrions payer, et ce, en fonction du rendement du capital que la banque pourrait éventuellement dégager.
Soulignons qu’actuellement, les banques composent avec un contexte financier particulièrement difficile. Les bas taux d’intérêt compriment la marge nette d’intérêt, c’est-à-dire, la différence entre le taux auquel elles prêtent par rapport à ce qu’elles paient pour se financer. Pour Bank of America, l’ensemble de leurs actifs générateurs d’intérêts procurait un rendement de 5,35% en 2005 contre 2,73% aujourd’hui. Comme le taux payé sur les passifs n’a pas diminué d"autant, la marge nette a souffert, passant de 2,84% à 2,17%.
Un écart significatif pour la banqueCet écart peut sembler anodin à première vue, mais calculé sur des actifs totaux de 1,8 billions de dollars américains, on obtient une réduction de revenus de 12G$US. La rentabilité de la banque serait grandement améliorée par une hausse des taux. Selon leur dernier rapport financier disponible, une augmentation de 100 points de base (1%) se traduirait par des revenus d'intérêts nets supplémentaires excluant ceux provenant de la négociation de 4,6G$US.
Nous devons toutefois spécifier que cet estimé ne prend nullement compte de la réaction possible des déposants dans un tel cas. Si les taux grimpaient, ceux-ci rechercheraient de meilleures solutions de rechange. La banque n’aurait d’autre choix que d’augmenter les intérêts versés afin de retenir sa clientèle.
Quant au rendement du capital, le retour sur l’équité actuel atteint environ 7%, en annualisant le dernier trimestre. Cette mesure s’avère cruciale à notre avis, car elle déterminera quel ratio nous devrions payer. Par exemple, une banque dont le rendement sur l’équité oscille autour de 6% à long terme ne mérite pas d’être acquise à sa valeur tangible. Si pour 100$ d’équité, vous payez 100$ (soit un ratio de 1x), vous aurez déboursé 17x les bénéfices (100$ / 6$). Cela constitue un ratio cours / bénéfice assez généreux. En revanche, pour 15$ de profits pour chaque tranche de 100$, vous pourriez payer 1,9x, soit 190$. Votre ratio cours / bénéfice se rapprocherait de 13 fois.
Même si vous payez largement plus que la valeur au livre, vous vous retrouvez avec un titre moins cher que le premier (13x contre 17x).
Qu’obtenons-nous pour Bank of America?
Pour Bank of America, nous avons une équité de 250G$US, à laquelle il faut retrancher les intangibles de 74G$US, ainsi que les 22G$US d’actions privilégiées. Nous aboutissons avec 154G$US, en incluant la valeur des impôts différés.
La banque a généré des profits de près de 3G$US au dernier trimestre, auxquels nous devons ajuster la libération de réserves (diminution des réserves pour pertes) ainsi que les différents frais de litiges. Il en résulte un profit de près de 11G$US une fois annualisé, ou 7% de rendement sur l’équité.
En étant conservateurs, nous pensons que si l’économie continue de s’améliorer et que les taux d’intérêt grimpent, la banque pourrait générer un rendement de 12%, ce qui se traduirait par des profits de 18,5G$US. Nous estimons qu’une telle rentabilité mériterait un ratio d’au moins 1,6x la valeur au livre tangible, correspondant à un ratio cours / bénéfices d’un peu plus de 13x.
Or, la difficulté ne réside point dans l’établissement de ce calcul. Toute la question repose sur la possibilité de voir notre estimé se réaliser. C’est pourquoi les projections dans les modèles s’avèrent bien futiles si nous ne sommes pas en mesure de justifier les données utilisées.
Nous avons observé plusieures rivales de Bank of America et avons constaté des points communs importants. Tout d’abord, la rentabilité des banques atteignait des niveaux nettement supérieurs avant la crise. Certes, l’économie battait son plein et le prix des maisons explosait. Il existe cependant une autre explication: l’effet levier utilisé.
Les règles du jeu ont changé!La réglementation a beaucoup changé depuis la crise, avec la venue des normes de Basel III, introduites en 2013. Celles-ci vont être incorporées progressivement jusqu’en 2019. Bank of America, ainsi que plusieurs de ses compétiteurs, pouvait prêter un montant supérieur à 10 fois son capital tangible en 2005. Aujourd’hui, elle prête un peu plus de la moitié de ce ratio, et doit tout de même surveiller de près les limites imposées par la nouvelle réglementation. Notons qu’elle figure parmi les institutions comportant un risque «systémique», ajoutant des contraintes supplémentaires sur son capital.
La banque affichait des retours sur l’équité tangible supérieurs à 30% avant la crise. Aujourd’hui, étant donné la conjoncture réglementaire, nous sommes nettement moins gourmands, même si l’économie poursuivait sa bonne progression. Avec la hausse des taux d’intérêt, Bank of America devrait améliorer sa rentabilité. Si celle-ci atteint 12%, un ratio sur l’équité tangible de 1,6x nous paraît raisonnable. Cela correspond à un prix par action de 22$. Notez que Wells Fargo, US Bancorp ainsi que M&T Bank se négocient actuellement à des ratios de 2.1x, 2.5x et 2.2x respectivement.
Au sujet des auteurs du blogue: Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com