Nous entendons souvent parler de la société Apple ainsi que du rachat d'actions massif exigé par l'activiste Carl Icahn. Ce dernier a récemment acquis d'autres actions, pour une valeur totale d'environ 4G$. Il estime qu'Apple devrait démontrer beaucoup plus d'agressivité dans son plan de rachat, puisqu'il juge que le titre demeure largement sous-évalué. Étant donné que la société génère beaucoup de liquidités, il cherche à inciter la direction à se départir de son imposante encaisse.
Devrait-on tenter d'influencer la direction? M. Icahn a-t-il raison de se plaindre?
Certains pensent que non.
Matt Patsky, chef de la direction de Trillium Asset Management, pense qu'il n'est pas toujours dans l'intérêt des actionnaires de leur distribuer les réserves de liquidités cumulées.
Quant à Anne Simpson, qui est à la tête du plus important fonds de retraite américain CalPERS, elle estime que les rachats et les dividendes annoncés en avril 2013 s'avèrent suffisants. Elle juge que M. Icahn arrive trop tard et ne devrait pas s'immiscer dans les décisions de la société. ''Il y a les propriétaires, les négociateurs et les prédateurs'', déclara-t-elle. Elle fit référence à M. Icahn en tant que prédateur, par opposition à son fonds qu'elle considère comme étant un propriétaire à long terme. Elle s'estime satisfaite des rachats déjà annoncés par Apple en 2013. Toutefois, il ne faudrait pas oublier que ces rachats ont probablement été incités par le gestionnaire de fonds de couverture M. David Einhorn, que l'on pourrait également qualifier de ''prédateur'' selon ses termes. Rappelons-nous que M. Einhorn fit pression sur la société vers la fin de l'année 2012, afin de l'inciter à remettre l'argent aux actionnaires sous une forme ou une autre.
Beaucoup de liquidités : pour les actionnaires?
Il ne fait nul doute qu'une société qui détient un bilan aussi solide démontre une gestion prudente de la part de ses dirigeants. Néanmoins, quel avantage les actionnaires retirent-ils de ce niveau de prudence?
Les 159G$ de liquidités que la société détient engendrent environ 1,7G$ annualisés en intérêts et dividendes. Nous obtenons donc un rendement d'à peine plus élevé qu'un pourcent avant impôts. Les liquidités nettes représentent une somme d'environ 142G$ (en retranchant leur dette), signifiant que pour un actionnaire d'Apple, près du tiers de la valeur de la société génère très peu de rendements. Nous faisons donc face à une importante dilution.
En tant qu'investisseurs, nous ajustons fréquemment l'évaluation des titres en fonction de leur bilan. On peut retrancher l'encaisse de la valeur marchande. Dans le cas contraire, c'est-à-dire si la société comporte un certain endettement, nous pouvons rajouter ce montant à la valeur boursière. Toutefois, si une société conserve une importante encaisse de façon permanente sans espoirs pour les actionnaires de voir la couleur de cet argent, l'évaluation ne devrait pas tenir compte de cette encaisse.
Si une société n'a pas l'intention de distribuer ses profits aux actionnaires, elle devrait les réinvestir. Or, en se contentant de simplement accumuler le capital, on force les investisseurs à accepter le rendement des obligations et autres effets à court terme qui composent l'encaisse. Chez Apple, les obligations affichent une durée variant entre un et cinq ans. Autrement dit, pour chaque action de 500$, l'investisseur obtient une part d'une société très profitable au prix de 350$, ainsi qu'un placement très peu rentable pour 150$.
Laisser le choix aux actionnaires
Ces 150$ par action appartiennent aux actionnaires, et nous pensons que ceux-ci devraient avoir le choix d'investir uniquement dans la société et ses affaires courantes pour 350$, et maximiser ou non le profit qu'ils pourraient engendrer sur les 150$ excédentaires. Les actionnaires auraient la possibilité par exemple de détenir davantage d'actions de la société pour le même prix. C'est exactement ce que produit comme effet un rachat d'actions.
Une importante partie des liquidités cumulées sont situées à l'étranger, ce qui pose un problème au niveau de l'impôt si elles étaient rapatriées. Toutefois, M. Icahn cherche surtout à augmenter les rachats d'actions par rapport au niveau actuel, particulièrement dans le contexte actuel où les actions de la société se transigent à des évaluations qu'il juge nettement inférieures au marché dans l'ensemble. Il s'avère nettement plus avantageux de procéder aux rachats à des moments propices, plutôt que de rachat régulièrement peu importe le prix des actions.
On peut accuser les activistes d'agir en prédateurs et de rechercher un profit à court terme, mais grâce à leur présence, ils réussissent parfois à rallier les investisseurs afin d'inciter la direction à agir dans leurs intérêts. Peu importe que l'on investisse à long terme ou à court terme, nous doutons fortement qu'il soit avantageux pour un actionnaire de se contenter des rendements que procurent les liquidités et les obligations.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com