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Comme on le sait, une hausse de taxe sur les riches a été proposée par l'administration Obama. Comme Warren Buffett lui-même avait suggéré de taxer davantage les citoyens à hauts revenus, le gouvernement lui demanda la permission de baptiser cette taxe par son nom. C'est pourquoi on entend parler de la ''Buffett Tax''.
L'argument de M. Buffett repose sur le taux de taxation qu'il paie par rapport aux autres citoyens. En référence, il utilise le salaire de sa secrétaire, qui paie un impôt de 30%. Ce chiffre paraît bien élevé en comparaison avec le sien, dont le taux s'élève à seulement 17,7% sur les 46M$ gagnés en 2010. Cependant, il existe quelques éléments importants dont M. Buffett ne fait pas mention et qui méritent d'être considérés.
Tout d'abord, il faut savoir qu'aux États-Unis, le taux de taxation sur les gains en capital est fixé à 15%. À première vue, on serait tenté d'en déduire que ce taux est peu élevé par rapport aux salaires. Cependant, on oublie trop souvent la provenance des gains en capital, puisqu'il s'agit en fait d'une double taxation.
Prenons l'exemple d'un travailleur autonome. Il peut choisir entre deux options : déclarer tous ses revenus à titre personnel, ou se constituer une société. Les revenus personnels sont taxés selon une échelle très progressive. Lorsque l'on gagne un salaire misérable, l'impôt est habituellement nul ou fortement compensé par des crédits d'impôts. Plus le salaire est élevé, plus le taux d'impôts grimpera selon les tranches de revenus qui sont prévues par la loi.
Un travailleur autonome possédant une société pourrait choisir de se verser un salaire de 20 000$ sur les 300 000$ qu'il a gagnés, après déductions de ses dépenses. Ainsi, sa société sera réputée avoir engendré un bénéfice de 280 000$, alors que personnellement, il aura reçu un maigre salaire de 20 000$. La société paie des impôts, mais comme elle est séparée de l'individu, on pourrait faussement déclarer que le travailleur autonome ne jouit que d'un maigre salaire. Par conséquent, son taux d'impôt sera très bas. Vous devinez probablement où nous voulons en venir.
La majorité de la fortune de M. Buffett est investie dans Berkshire Hathaway, à raison de 23% des actions (valeur économique, et non les votes, pour lesquels il détient 34%). En 2010, soit l'année à laquelle se réfère M. Buffett pour fins de comparaisons avec sa secrétaire, Berkshire Hathaway affiche une charge d'impôts de 5,6G$. Il en résulte donc un impôt d'environ 1,3G$ pour lui seul. Comme la plupart des personnes riches tirent leurs revenus (lire ici l'augmentation de leur fortune) par le biais de sociétés privées ou publiques, on ne peut ignorer ces importantes données.
Les sociétés paient des impôts, à raison d'environ 35% aux États-Unis (impôt fédéral). Les 15% d'impôts sur le gain en capital sont applicables sur l'appréciation des actions. À très long terme, cette appréciation correspond à la valeur nette cumulée de la compagnie. Pour simplifier le calcul, supposons que les actions s'apprécient au même rythme que la valeur au livre. Par conséquent, les 65% de profits qui sont réinvestis dans l'entreprise seront taxés à 15% aux mains de l'investisseur lors de la vente des actions, à moins qu'ils soient versés en dividendes. On doit donc ajouter 9,75% d'impôts aux 35% payés par l'entreprise (65% x 15%), ce qui résulte en un impôt total d'environ 45%.
Certains investisseurs auront à déclarer davantage de gains, tandis que d'autres, des pertes, tout dépendamment du moment de la vente des actions. Cependant, les gains des uns annulent les pertes des autres. À long terme, on doit regarder l'appréciation de la valeur intrinsèque de l'entreprise afin d'avoir une idée des impôts payés ou à payer.
Donc, en réalité, on ne peut pas se fier seulement aux impôts personnels afin de connaître la facture fiscale totale. Qui plus est, un autre élément important vient brouiller les cartes. Il s'agit de la sélection du moment pour déclencher les gains ou les pertes en capital. En effet, tant et aussi longtemps que vous ne vendez pas vos actions, vous n'avez pas à déclarer vos gains. En 2010, l'indice S&P 500 a généré un gain de 15% si l'on inclut les dividendes. Alors les titres de M. Buffett ont dû s'apprécier durant cette période. Si M. Buffett avait eu à déclarer tous ses gains, ses revenus auraient probablement été plus élevés que 46M$, puisque nous pensons que son portefeuille personnel a une taille non négligeable.
Même Berkshire Hathaway aurait déjà payé d'importants impôts supplémentaires s'il fallait déclarer au fisc toute appréciation de nos portefeuilles. Le titre de Coca-cola à lui seul valait près de 12G$ au 31 décembre 2010, alors que son coût est établi à 1,3G$. Cet avantage laissé aux actionnaires leur permet de décider du moment ''propice'' pour déclarer leurs gains, et dans plusieurs cas, cette liberté permet de payer moins d'impôts dans leur déclaration personnelle lorsqu'elle est utilisée à l'intérieur d'une bonne stratégie fiscale.
Comme nous l'avions démontré dans un blogue précédent, la facture fiscale des pays revient en grande partie aux gens les mieux nantis. Devraient-ils payer davantage d'impôts, afin d'aider leur pays en ces temps difficiles? Il s'agit d'un autre débat. Cependant, nous soupçonnons que M. Buffett souhaiterait faire payer davantage les hauts dirigeants qui s'offrent des salaires faramineux sur le dos des actionnaires, par le biais de bonis excessifs et de généreux octrois d'options. Il serait intéressant que toute nouvelle loi s'attaque à ce genre de rémunération, puisque ceux qui en bénéficient ne risquent même pas leur capital, contrairement aux investisseurs. Qui plus est, les gestionnaires de fonds de couverture doivent être visés, et le gouvernement est déjà au fait de la situation. En effet, les gestionnaires reçoivent une rémunération sur l'appréciation du portefeuille de leur client - 20% des profits dans bien des cas - et elle est taxée comme un gain en capital!