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Les prêteurs à court terme font souvent l'objet de sévères critiques concernant les taux exorbitants qu'ils chargent. Nous faisons référence ici aux institutions qui offrent des petits prêts aux personnes dont le crédit laisse à désirer. Il n'est pas rare d'assister à des taux annualisés surpassant les 500%, ce qui soulève bien de l'indignation chez les régulateurs dont le mandat consiste à protéger le public des prédateurs financiers.
Nous estimons qu'il existe deux facettes à ce fléau, dont l'une concerne l'ignorance financière de ceux qui critiquent cette industrie, et l'autre, l'aspect moral de la question. Nous traiterons aujourd'hui de la première partie, soit l'aspect financier.
La première question que l'on peut se poser au sujet de cette industrie, c'est de vérifier si les sociétés de ce secteur engendrent autant de profits que les taux chargés sur les prêts le suggèrent. En exigeant des centaines de points de pourcentage, difficile d'imaginer que les profits ne soient pas tout aussi impressionnants.
Quelques sociétés publiques prospèrent dans ce domaine, sans toutefois afficher des rendements mirobolants : World Acceptance Corp, Cash America International et EZCorp. Lorsque les dirigeants de ce genre de société se font pointer du doigt au sujet des taux qu'elles chargent, ils ont tendance à rétorquer que les prêts ne sont pas sécurisés et que les taux de défauts sont élevés. Or, selon nous, il ne s'agit pas de la principale raison.
Pour comprendre la source du problème, utilisons un exemple très simple. Vous avez besoin de 200$ rapidement. Vous vous tournez donc vers un prêteur à court terme. Vous arrivez dans une succursale, et on vous demande de remplir un formulaire, qui sera revu et traité par un employé. Afin de garantir le remboursement de votre prêt, on devra s'assurer de pouvoir saisir votre paie en cas de défaut. Par conséquent, la majeure partie des intérêts et frais payés servira à couvrir le coût des employés, le loyer de la succursale, les frais de publicité et tout autre coût relié à leurs opérations.
Si les coûts attribuables à votre prêt atteignent 400$, vous crieriez au scandale, puisque en plus des intérêts, vous devrez débourser 200% du montant. Ces disproportions grotesques sont le fruit de l'émission de prêts dont la taille ne permet pas d'amortir les différents frais de façon raisonnable.
Dans le cas de World Acceptance, dont le montant moyen des prêts correspond à environ 1000$, le total annualisé moyen des frais exigés (intérêts et autres frais) atteint près de 80%. Plus de la moitié de ces frais sont reliés à l'exploitation de l'entreprise. Les petits prêts se verront attribuer des frais énormes, car les coûts fixes ne peuvent pas être absorbés efficacement, alors que les prêts de taille plus significative afficheront des taux plus acceptables. Voici un exemple ridicule mais évident : vous prêtez 1$ à votre beau-frère, et vous lui chargez 5$ pour la rédaction d'un contrat de prêt à 10% d'intérêts pour un an. Vous récolterez 10 cents pour le prêt, et 5$ en frais. Vu de l'extérieur, on pourrait argumenter à l'effet que vous avez chargé en réalité 510% d'intérêts.
Vous serez peut-être étonné d'apprendre que même les prêts à long-terme peuvent exiger des taux relativement élevés afin de permettre de dégager un profit pour le prêteur.
Prenons le cas d'un prêteur sur véhicules neufs et usagers, qui charge environ 29% d'intérêts annuels. Il s'agit de Nicholas Financial (NICK-Q), dont ses activités consistent à prêter aux personnes dont le crédit est entaché. Dans son rapport annuel, la société décrit bien la ventilation des dépenses sous forme de pourcentages :
Revenus (intérêts et frais) : 29%
Provisions pour pertes : 5%
Mise en marché, salaires, dépenses administratives, etc : 11%
Taux net avant taxes : 13%*
Taux net après impôts : 8%
*Nous avons effectué des ajustements pour éliminer l'effet de levier, qui ne retranche que 2% au taux net avant taxes.
Que nous révèlent ces chiffres? À première vue, 29% semble un taux excessif, surtout dans le contexte où la valeur des prêts au bilan varie habituellement entre 1000$ et 9000$. Toutefois, l'étude des dépenses nous démontre que si le taux exigé était plafonné à 10%, environ la moitié des revenus aboutirait en provisions pour pertes sur les prêts non remboursés (5% sur 10%). Quant au deuxième poste de dépense, il s'avère davantage révélateur. À 11% des prêts, on comprend aisément qu'en ne chargeant que 10% sur les prêts, on accuserait immédiatement un déficit. Comme nous l'avons vu précédemment, les coûts d'opération sont souvent sous-estimés.
Finalement, les impôts constituent une charge significative, et viennent réduire le rendement de 13% à 8%. Par conséquent, pour afficher une rentabilité acceptable pour ses actionnaires, la société a recours à l'emprunt. Avec un certain effet levier, elle peut espérer dégager un rendement sur l'équité de 15%.
Par conséquent, nous pouvons affirmer qu'un prêt dont le coût total atteint 29% ne procure que 8% net de rendement au prêteur. Donc, un observateur qui ne connaît pas ces chiffres estimerait peut-être que 15% d'intérêts compensent amplement la société pour son travail et le risque qu'elle assume. Or, à un tel taux, elle serait déficitaire.
Retenons que plus le montant du prêt est élevé, plus il s'avèrera facile pour l'institution d'amortir ses frais. Doit-on en conclure que les taux exorbitants des petits prêts sont justifiables sur le plan moral? Devrait-on permettre leur existence malgré l'évidente forte demande du côté des consommateurs? Nous tenterons de répondre à la question dans un prochain blogue.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com