Afin d'obtenir une idée de la rentabilité visée par la direction d'une entreprise, nous avons l'habitude de nous fier au rendement sur l'équité dans le cas des sociétés financières. Cette donnée nous permet de connaître combien de profits seront engendrés sur sa valeur nette. Par exemple, une banque affichant 10G$ d'actifs et 1G$ d'équité produira un rendement sur son équité de 10% si elle enregistre des profits de 100M$ sur un an. Avec de telles données, nous pouvons appliquer un ratio par rapport à cette valeur nette, afin d'estimer la valeur de l'entreprise.
Un investisseur qui juge qu'une financière dégageant un rendement sur l'équité de 10% devrait se transiger à 1,2 la valeur au livre sera bien content de rafler le titre à une valeur inférieure. Par exemple, si la société se transige à 90% de l'équité, le rendement potentiel s'élèvera à 33%. Toutefois, le calcul de ces valeurs comporte parfois des pièges à éviter.
Si vous êtes familier avec le calcul de la valeur nette d'une banque ou d'une société d'assurance, vous savez qu'il faut prendre soin de retrancher les actifs intangibles afin d'obtenir une valeur fiable. La plupart des sites qui fournissent des données sur 5 ou 10 ans ne procèdent point à ce genre d'ajustement. Par exemple, le titre de Susquehanna Bancshares (SUSQ-Q) semble être une aubaine lorsque l'on jette un coup d'oeil au multiple ''Price / Book'' historique de 10 ans (cliquer ici). L'apparence de l'escompte de 30% sur la valeur au livre disparaît rapidement lorsque l'on considère l'important intangible qui grève le bilan. Or, effectuer cet ajustement s'avère essentiel, mais on doit également porter attention à la valeur utilisée par la direction lorsqu'elle dicte des objectifs.
L'utilisation de bases différentes
Robert Benmosche, le chef de la direction responsable du revirement de l'assureur American International Group (AIG-N), tablait à l'époque sur un retour de 10% pour 2015. On peut donc observer dans les informations disponibles de quelle façon la société désigne l'équité. Pour fins du calcul du rendement sur l'équité, elle inclut les taxes différées, mais pas les gains non réalisés, principalement sur les titres à revenus fixes (en anglais, ce poste est souvent désigné par l'acronyme AOCI). Cette pratique est tout à fait légitime, si la direction pense réaliser la valeur des taxes différées avec le temps.
Or, ce qui serait moins acceptable, ce serait de retrancher les taxes différées pour fixer l'objectif de rendement, tout en laissant ces actifs au bilan de la société. Au deuxième trimestre de cette année, le rendement ajusté a atteint 7,7%. Si l'on avait retranché les taxes différées d'environ 20G$, l'objectif aurait presque été achevé, puisque le calcul se serait effectué sur une plus petite base.
Le cas d'Ally Financial (ALLY-N) est édifiant. Cette société effectue des prêts pour les acheteurs de voitures ainsi qu'aux concessionnaires qui les vendent. La direction a déclaré à quelques reprises qu'elle vise un rendement sur l'équité entre 9% et 11%. Un coup d'oeil rapide au bilan nous indique une valeur de 13,6G$ une fois retranchées les actions privilégiées. Un rendement moyen de 10% nous permettrait en principe d'espérer des profits de 1,36G$. Or, on mentionne bien dans les communiqués que l'on se base sur l'équité tangible pour fins du calcul. Selon ce site, elle correspondrait bien à la valeur que nous venons de calculer (cliquer ici).
Un objectif calculé bien différemment
Nous devons cependant puiser un peu plus loin pour découvrir que deux importants actifs sont ignorés dans le calcul de la base. Il s'agit des fameuses taxes différées, comme vous vous en doutez probablement. Or, ils éliminent également de la base un montant un peu plus difficile à établir : l'amortissement futur de certaines dettes obligataires.
Cet amortissement correspond à l'escompte concédé aux preneurs de leur dette lorsqu'elle fut émise. Cet escompte constitue un montant d'argent que la société n'a jamais reçu, mais pour lequel elle n'avait inscrite aucune charge au moment de la transaction. On amortit donc le montant sur plusieurs années, selon l'échéance des dettes. La valeur au livre doit donc être réduite de près de 1,5G$, ce que l'on ne voit pas sur le bilan. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'établir un objectif de rendement sur l'équité, on n'hésite pas à en tenir compte. Ainsi, la base de calcul pour établir l'objectif est de 10G$, plutôt que les 13,6G$ calculés au départ. Nous avons l'impression de nous retrouver devant une situation de deux poids deux mesures.
Certains petits détails peuvent causer de grandes différences. Demeurez vigilant dans vos estimés!
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com