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Une déclaration récente du PDG d’Exxon Mobil, Rex Tillerson, a piqué notre attention. Il juge que le prix du baril de pétrole devrait se situer autour de 60$ à 70$ s’il n’était gouverné que par les règles fondamentales de l’offre et de la demande. Or, le baril se transige actuellement autour de 100$. Dans ce contexte, plusieurs condamnent la spéculation sur les contrats à terme comme le pire vice des marchés financiers. Cependant, il y a toujours deux côtés à une médaille.
Tout d’abord, il faut reconnaitre que l’avènement des contrats à terme est une innovation bénéfique pour l’économie. Un contrat à terme est tout simplement un contrat entre un acheteur et un vendeur, pour s’échanger un bien contre un paiement déterminé lors d'une date future.
Par exemple, un transporteur aérien a besoin de pétrole pour faire voler ses avions. Cependant, il vend généralement ses places d'avance. Il doit donc fixer ses prix et engranger ses revenus aujourd’hui, sans savoir quels seront ses coûts réels dans le futur, car ceux-ci dépendront du prix du pétrole au moment du vol.
Dans un monde sans contrat à terme, le transporteur aérien aurait alors deux choix. Premièrement, il pourrait acheter ses barils de pétrole à l’avance, et les entreposer jusqu’au moment du vol. Il fixe ainsi ses coûts à l’avance, mais le prix du billet augmente car il doit faire assumer les coûts d’entreposage à ses clients. Sa deuxième option serait de ne rien faire, mais ce faisant il assumerait un plus grand risque, car il ne peut garantir que ses activités seront profitables si le prix du pétrole augmente sans cesse.
Les contrats à terme réduisent ainsi les risques et les coûts globaux dans l’économie. Les transporteurs aériens n’ont plus autant besoin d’entreposer de stocks, et ils peuvent dormir sur leurs deux oreilles lorsqu’ils fixent le prix des sièges.
Il faut comprendre que dans un contrat à terme il y a toujours deux partis, l’acheteur et le vendeur. Dans notre exemple, le transporteur aérien est l’acheteur. Mais qui est le vendeur ? Il peut s’agir d’une compagnie productrice de pétrole, qui fait face à un problème similaire à la compagnie aéenne. Elle engage des dépenses et investit dans des infrastructures pour extraire le pétrole aujourd’hui, sans savoir quel sera le prix du baril au moment où il sera enfin livré au client. Le contrat à terme permet donc aux deux parties (acheteur et vendeur) de réduire leur risque.
Et qu’en est-il des spéculateurs? N’importe qui peut acheter ou vendre des contrats à terme par le biais des bourses. Un investisseur qui croit que le prix va monter peut acheter des contrats à terme. Celui qui croit que le prix va descendre peut vendre ces mêmes contrats. Ce faisant, les spéculateurs procurent de la liquidité aux marchés, c’est-à-dire qu’il sera plus facile pour les transporteurs aériens et les producteurs de pétrole de transiger des contrats à terme s'il y a plus d’acheteurs et de vendeurs sur le marché.
Fait intéressant à noter, le marché des contrats à terme est un jeu à somme nulle (zero-sum game). Ainsi, au moment de la livraison, le baril du pétrole pourrait se transiger au-dessus ou au-dessous du prix convenu par contrat. Tout gain effectué par l’une des parties implique nécessairement une perte de l’autre partie. Pour revenir à notre exemple, si le prix au marché est supérieur au prix du contrat, le transporteur aérien empoche la différence, et le producteur de pétrole assume la perte. Dans les deux cas, ils auront tout de même réduit leur risque opérationnel.
Il est donc facile de casser du sucre sur le dos des spéculateurs, mais ceux-ci procurent de la liquidité au marché tout en participant à un jeu dont l’espérance de profit net est zéro. Pour chaque spéculateur qui fait de l’argent, il y en a probablement un qui en perd. Si on prend pour acquis que les investisseurs sont rationnels, personne ne voudrait prendre de risque pour une espérance de profit nul. Le prix du marché représente donc à tout moment l’anticipation des intervenants du marché sur les prix futurs.
Ainsi, lorsque le PDG d'Exxon indique que le prix du marché est supérieur au coût marginal de production du baril, c’est que les participants (y compris les spéculateurs) estiment que les événements futurs feront monter les prix. La différence de 30$ ou 40$ entre le prix au marché et le prix estimé sur la base de l’offre et de la demande fondamentale constitue la « prime de risque » du marché.
Que le PDG d’Exxon admette indirectement qu’il y a spéculation sur le prix du baril, lui qui a tout à perdre d’un éventuel dégonflement de celle-ci, peut sembler étonnant au premier abord. Mais c’est dire à quel point il ne craint pas que cela se produise…