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Lorsque vous songez à la bourse et à un de ses titres, à quoi songez-vous? Imaginez-vous une pluie de chiffres et de graphiques qui déferlent? Pensez-vous en termes de perspectives et de croissance? ''Cette entreprise a beaucoup de potentiel, puisque son produit est révolutionnaire!'' Est-ce le genre de phrase qui vous vient à l'esprit?
Chez bien des investisseurs, ainsi que chez des propriétaires de commerces et d'immeubles à logements, le mythe de la croissance à tout prix est bien ancré. L'exemple le plus percutant que nous pourrions exposer ici, c'est notre discussion avec un propriétaire en immobilier en décembre 2008.
Comme il connaissait très bien ce domaine, nous avions pensé lui démontrer le cas de Becker Milk Company (BEK.B-T), qui se transigeait au prix ridicule de 5,00$ à l'époque. Becker Milk constitue une société d'immobilier dont le principal locataire est Alimentation Couche-Tard. Cette dernière préfère parfois louer l'espace qu'elle utilise pour ses dépanneurs plutôt que de les posséder. Becker s'avère donc un locateur immobilier, et ne possède pas directement les dépanneurs Couche-Tard qui utilisent ses locaux.
Or, alors que nous pensions que ce titre en particulier serait mieux compris de sa part étant donné le domaine dans lequel oeuvre Becker, nous avons eu droit à une surprise. ''Je ne crois pas qu'il y ait une bonne croissance dans les dépanneurs.''
Décortiquons le sens d'une telle affirmation. Tout d'abord, on peut aisément deviner que le propriétaire en immobilier avait mal saisi la nature des activités de Becker Milk. Cette dernière aurait pu abriter un salon de coiffure, un commerce de nettoyage à sec aussi bien qu'un restaurant. Il n'en demeure pas moins qu'elle reste une société immobilière, tout comme un propriétaire ne devient pas plombier si un de ses locataires travaille dans le domaine de la plomberie.
Qui plus est, cette affirmation révèle un autre point important. Chez plusieurs propriétaires d'immeubles, ainsi que chez bien des entrepreneurs en général, un mythe persiste par rapport à la bourse. Une entreprise sans croissance ne représente pas un bon investissement! Bien que la société que nous lui présentions oeuvrait bien dans le domaine de l'immobilier, on ne peut réfuter le fait que sa croissance était nulle.
On pourrait diviser la philosophie de la valeur fondamentale en deux grands styles : l'achat d'entreprises de qualité à prix raisonnable et l'achat de sociétés à rabais dans le but de les revendre plus cher. On pourrait appeler le premier ''la méthode Philip Fisher'', alors que le deuxième style s'apparente plutôt à celui de Benjamin Graham. De nombreux débats ont été encourus sur ces deux façons d'investir, et nous pensons que la maîtrise et la compréhension des deux à la fois ont fait de Warren Buffett un investisseur hors pair.
Le concept élaboré par M. Graham fonctionne, et fonctionnera toujours. Certaines personnes pourraient tenter de vous convaincre que Warren Buffett a débuté ''Graham'' pour devenir ''Fisher'', mais nous n'en croyons rien. Lorsqu'un détaillant achète de l'inventaire à bas prix, afin de le revendre beaucoup plus cher, ce sont les principes de Graham qui s'appliquent. Lorsque vous achetez une maison dans le creux d'un marché immobilier, dans l'espoir de la revendre lorsque la tempête se calme, vous empruntez la même logique. Finalement, lorsque notre propriétaire d'immeubles s'efforce de payer un faible ratio du prix sur les loyers lors d'un achat, il fait appel également à cette philosophie.
Or, il semble que bien des entrepreneurs arrivent à appliquer ces importants principes dans leur domaine, mais dès qu'il s'agit de la bourse, ils se retrouvent dans un autre monde où la logique diffère! Trop souvent, lorsque l'on parle de la bourse, on est à la recherche d'une tendance ou d'une histoire intéressante sur les perspectives. Plusieurs exemples peuvent en faire foi. Pour Potash Corp, on veut miser sur la demande chinoise qui ne peut qu'être illimitée. Pour les banques canadiennes, on aime penser aux acquisitions aux États-Unis et ailleurs dans le monde qui nourriront la croissance pendant longtemps. Pour les réseaux sociaux sur internet, on table sur l'ampleur que prend notre nouvelle façon de se connecter les uns aux autres.
Bref, investir à la bourse désigne souvent le fait de miser sur un concept qui révèle une histoire intéressante. C'est tellement mieux qu'une multitude de chiffres et de ratios financiers ennuyeux! Imaginez un instant qu'un expert en immobilier nous montre un immeuble en bon état disponible à seulement 5 fois les revenus (alors que la plupart des immeubles s'échange à 10 fois actuellement), et que nous lui répondions :
''Désolé monsieur, votre immeuble ne nous intéresse pas! Les 100 logements qu'il abrite n'augmenteront pas en nombre. Pourquoi investirions-nous dans un actif sans croissance?''
Un tel argument pourrait facilement être réfuté en expliquant que l'immeuble génère des flux financiers de plus de 12% par an, et que le bas prix payé en fait un investissement très peu risqué et très rentable. Par conséquent, même si sa valeur marchande n'augmente jamais, la rentabilité à elle seule constitue un élément assez intéressant pour l'acquérir.
Les actions de Becker Milk n'offraient pas la croissance que l'on pourrait retrouver dans un titre comme Linkedin ou Netflix, cependant le dividende rapportait 12%, et la ratio du prix sur les loyers était au niveau incroyable de 2! Qui plus est, le dividende spécial qui a été versé quelques mois plus tard (avril 2009) représentait 40% de rendement sur le prix payé. Il n'est pas tout le temps nécessaire d'acheter des titres de croissance pour réaliser de bons rendements!
Pour conclure, donnons le crédit au propriétaire d'immeubles. Quand on considère la façon dont bien des analystes nous présentent les titres, ainsi que les arguments évoqués par des gestionnaires de portefeuille pour justifier leurs achats, il n'est pas étonnant que notre propriétaire n'arrive point à faire le rapprochement entre ses propres immeubles et un titre boursier dont les activités sont semblables.