La lettre annuelle 2014 de Berkshire Hathaway vient d'être publiée. Comme toujours, la lecture de celle-ci s'est avérée enrichissante. Vous pouvez y accéder par ce lien: lettre annuelle 2014. Dans cette dernière ainsi que dans bien d'autres de ses lettres, M. Buffett discute des réserves qu'il détient dans ses compagnies d'assurance.
En anglais, nous utilisons le terme «float ». Il désigne l'argent que la société a reçu des payeurs de primes, et qui servira à payer pour les sinistres dans le futur, le cas échéant. Certains ajustements doivent normalement être effectués, mais par souci de simplicité, nous nous en tiendrons aux primes perçues.
Si ses sociétés d'assurance déboursent moins d'argent qu'elle en avait perçu au départ, on dit qu'elles ont dégagé un profit technique (en anglais «underwriting gain »). Or, comme cet argent provient des payeurs de primes, on le compare fréquemment à un prêt à intérêts négatifs. D'une part, on investit ces réserves afin de générer des revenus d'investissements. Dans bien des cas, les sociétés d'assurance opteront pour des obligations et gagneront ainsi des intérêts.
D'autre part, ces réserves ne coûtent rien et engendrent même un profit. Ainsi, on a l'impression d'être doublement gagnant : on bénéficie d'un prêt sans intérêt, et on rembourse un capital moindre à l'échéance. N'est-ce pas merveilleux?
Un concept qui semble fascinant
Ce concept fascine beaucoup d'investisseurs, et les amène à penser qu'il serait tout naturel d'attribuer une certaine valeur spéciale à ces réserves. Par exemple, si une société d'assurance maintient des réserves de 100M$ dans ses livres, on pourrait en théorie penser que ce passif de 100M$ constitue une petite mine d'or. Il permet à son détenteur de générer des revenus. Pour créer ces réserves de 100M$, l'assureur a d'abord reçu 100M$ de primes qu'il peut investir en attendant de payer les sinistres. Un autre avantage intéressant s'y ajoute : un bon assureur remettra ultimement à ses assurés une somme moindre que les 100M$ perçus au départ, d'où le rapprochement avec un prêt à intérêts négatifs.
Pour une année donnée, supposons que la société a gagné un rendement en intérêts de 5% sur son capital, elle se retrouvera avec 5M$ de profits. Si les sinistres payés n'ont coûté que 97M$ au lieu des 100M$ prévus, elle bénéficiera d'un montant supplémentaire de 3M$. Au total, elle jouit d'un profit de 8M$, grâce au précieux capital des assurés. Cette façon de présenter les choses laisse croire que la société d'assurance n'a jamais eu à débourser aucun capital pour générer ce beau rendement. C'est pourtant faux.
Pour obtenir le droit de percevoir des primes, un assureur doit posséder un certain capital. Les régulateurs s'assurent qu'un certain minimum est respecté, en fonction de la nature des risques assurés. Dans l'exemple cité plus haut, supposons qu'un capital de 50M$ s'avère nécessaire. La société se retrouve donc avec 150M$ d'actifs, pour lesquels elle a fourni le tiers du montant. Elle dispose ainsi d'une bonne marge de manoeuvre, la protégeant contre la possibilité de perdre davantage que les 100M$ de primes perçues.
Quelle performance obtenons-nous?
Quelle performance obtenons-nous?
Si nous calculons le rendement sur le capital que procurent les profits techniques et l'argent investi, on obtient environ 10% une fois les impôts retranchés. Il s'agit d'un rendement bien ordinaire. Certaines sociétés dégageront de meilleurs rendements que d'autres. Toutefois, les forces compétitives ramènent constamment la moyenne vers un rendement normal, et parfois même médiocre. Par conséquent, on doit retenir que les réserves ainsi que son utilisation pour générer des revenus constituent la base du modèle d'affaires des assureurs. Sans cette caractéristique, ceux-ci n'arrivent pas à produire un rendement satisfaisant.
C'est pourquoi nous considérons le «float » comme étant un simple passif, ni plus ni moins. Berkshire Hathaway lui attribue une grande importance, car son capital est géré de façon extraordinaire. Remettez ce «float » entre les mains d'un piètre répartiteur de capital : vous courrez à la catastrophe. Il pourrait causer des pertes du côté des investissements, tout en payant davantage que les primes reçues pour couvrir les réclamations!
Un parallèle pourrait être établi avec un fonds à capital fermé en Bourse. Si ce dernier est géré par un gestionnaire très talentueux, vous pourriez être prêt à payer un montant supérieur à la valeur nette des parts. À long terme, vous vous considéreriez gagnant avec les rendements supérieurs. Toutefois, l'attrait particulier dans ce cas découle de la qualité du gestionnaire, et non de la nature même du fonds.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com