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Voici un sujet controversé, alors que les manifestations qui ont pris naissance à New York (Occupy Wall Street) dénoncent l'écart toujours grandissant entre les mieux nantis et les plus pauvres. Il ne fait nul doute que la compensation des dirigeants de grandes entreprises contribue à mettre en lumière ces écarts, particulièrement lorsque les salaires versés sont disproportionnés par rapport aux performances de l'entreprise.
Voici la rémunération moyenne des 5 dernières années pour quelques dirigeants de grandes sociétés publiques. Il ne s'agit pas des mieux rémunérés dans l'industrie. Nous les avons sélectionnés au hasard.
Rémunération totale annuelle moyenne de 2006 à 2010 :
Robert Iger de Walt Disney : 25M$
William Berkley de W.R. Berkley : 23,7M$
Jamie Dimon de JP Morgan : 19,2M$, dont 1M$ en 2008.
John Stumpf de Wells Fargo : 14,7M$, dont 9M$ en 2008.
Jim Skinner de McDonald's : 12,6M$
De façon générale, les salaires sont liés à la taille de l'entreprise. Le raisonnement s'appuie probablement et simplement sur le fait qu'une société qui engendre de gros revenus peut se permettre de payer de plus gros salaires. Évidemment, on ne peut pas en dire autant des employés en bas de l'échelle. La personne qui effectue le ménage dans une grande corporation ne gagnera pas nécessairement beaucoup plus que dans une petite entreprise.
Pour ces sociétés, ces salaires s'avèrent abordables. Dans le cas de JP Morgan, M. Dimon gagne 0,02% des revenus de la banque. Vu de cet angle, le salaire semble raisonnable. Quant à W.R. Berkley, la société affiche une taille beaucoup moins significative que JP Morgan. Son président gagne environ 0,6% des revenus. Par conséquent, l'accroissement des salaires ne suit pas nécessairement une courbe linéaire. Chaque entreprise affiche une culture différente. Chez W.R. Berkley par exemple, on aime la haute rémunération.
Bien sûr, plus une société grossit, plus elle peut se permettre de payer des salaires élevés. Prenons le cas de Jewett-Trading Cameron Trading Co. Vous constaterez que le nom de la compagnie est inversement proportionnel à la rémunération totale de son dirigeant, Donald Boone : 40 000$. Cette société présente des revenus annuels de seulement 45M$. L'entreprise pourrait difficilement verser une rémunération de 5M$, alors que sa valeur totale atteint les 17M$ en bourse. Néanmoins, il s'agit ici d'un dirigeant qui fait preuve de peu de gourmandise, et qui mise plutôt sur l'actionnariat en détenant une forte participation de son entreprise.
Concernant les 5 grandes sociétés citées plus haut, pourrait-on qualifier la rémunération des dirigeants de ''raisonnable''? Le salaire minimum aux États-Unis s'élève à 7,25$ de l'heure au niveau fédéral et dans l'état de New York. Admettons que les dirigeants les mieux payés travaillent 60 heures par semaine, nous obtiendrions un salaire annuel de 21 000$ pour le petit salarié. C'est moins de 1000 fois plus petit qu'un salaire de 25M$! Peut-on vraiment affirmer que certaines personnes méritent de gagner plus de 1000 fois le salaire minimum?
Personnellement, nous pensons que ces montants sont trop élevés, et ce phénomène est dû principalement aux éternelles comparaisons entre compagnies. En effet, les consultants en rémunération observent les concurrents pour fixer les salaires de leurs ''clients''. Sans aucun doute, on arrive souvent à suggérer toujours de plus en plus de salaire, afin de faire plaisir aux dirigeants. Lorsque toutes les compagnies agissent ainsi, les salaires ne peuvent que grimper constamment.
Pour justifier une rémunération, on peut observer le rendement d'une compagnie. Crée-t-elle de la richesse? Effectuons une comparaison entre une grande entreprise, JP Morgan, et une à taille très modeste, Jewett-Cameron Trading & Co. Le graphique qui suit est tiré du site Yahoo.com, et montre l'évolution du prix de ces deux titres pour les cinq dernières années :
Comme on peut le constater, JP Morgan a beaucoup moins bien performé. Il faut toutefois rajouter le dividende versé par cette banque, ce qui ramène le rendement sur 5 ans à un niveau presque nul. Notons également que le secteur bancaire s'est avéré particulièrement difficile durant la crise, alors que Jewett-Cameron, un manufacturier et distributeur de divers produits, n'a pas eu à faire face à une crise de liquidités aussi sévère.
Toutefois, on peut facilement se questionner sur le fait que M. Boone se paie un salaire si peu élevé, alors que sa société a engendré un bon rendement pour ses actionnaires durant la période visée. Chez JP Morgan, on assiste à tout le contraire. Les actionnaires ne se sont pas enrichis, contrairement à M. Dimon. À n'en point douter, il existe une culture chez les grandes corporations qui prônent de plus en plus les gros salaires, même si les actionnaires jouissent d'un rendement médiocre ou ordinaire.
Nous devons mentionner que parmi les dirigeants de grandes sociétés, M. Dimon fait preuve d'une certaine éthique et affiche un comportement que d'autres dirigeants devraient imiter. En 2008, M. Dimon a réduit son salaire à 1M$. Évidemment, pour la majorité des gens, 1M$ de salaire lorsque des millions de gens perdent leur emploi, ce n'est pas si mal! Néanmoins, en termes relatifs, on assiste à une baisse d'environ 95%. Qui plus est, ce dirigeant conserve toutes les actions de la société qu'il a acquises au fil du temps. Comme on le sait, bien des dirigeants s'empressent de vendre les actions de leur société. Ainsi, si le bateau coule, leur argent demeure à l'abri. Finalement, nous recommandons la lecture de ses lettres financières, que nous jugeons excellentes.
Comme nous l'avons vu précédemment, même si nous jugeons les salaires élevés, ils ne constituent pas pour autant un poids important par rapport aux revenus totaux des sociétés. Par contre, nous pensons qu'il existe un problème bien plus nocif pour les actionnaires concernant la rémunération. Il s'agit des incitatifs qu'elle crée. S'il s'avère plus facile pour une grande corporation de verser des gros salaires, quel message leur envoie-t-on?
Vous l'aurez deviné : acquisitions et émissions d'actions. Engraissons la société à tout prix! Plus sa taille augmente, plus on s'assure de voir son salaire s'apprécier. Or, les actionnaires en souffrent, car les décisions qui sont prises bénéficient trop souvent les dirigeants à leurs dépens. Existe-t-il des solutions? Nous croyons qu'en tant qu'actionnaires, nous devrions exiger que les sociétés imitent davantage Berkshire Hathaway, la société de Warren Buffett.
Durant les 10 dernières années, le nombre d'actions de Berkshire Hathaway a augmenté de 8%. Pour JP Morgan, c'est presque 100%. Certes, d'autres sociétés ont en fait ''réduit'' le nombre d'actions, en procédant régulièrement à des rachats d'actions. Toutefois, on paie souvent trop cher ces fameux rachats. Par conséquent, l'actionnaire demeure pénalisé, car ces rachats visent trop souvent à simplement faire monter le titre à court ou moyen terme, afin que les dirigeants puissent encaisser un généreux profit sur les titres qu'ils ont acquis grâce aux options.
On doit garder à l'esprit qu'on n'arrivera jamais à forcer ou inciter les sociétés à imiter Berkshire Hathaway à 100%. Cette dernière s'avère une exception : salaire ridicule pour M. Buffett, peu d'émissions d'actions et pas d'options octroyées aux dirigeants.
Voici une solution que nous préconiserions, mais qui, nous le savons bien, ne sera jamais mise en place. Il s'agit de limiter la rémunération en fonction du pourcentage des actions détenu par le dirigeant. Par exemple, un dirigeant détenant 50% des actions de son entreprise devrait être mieux rémunéré qu'un autre dont l'actionnariat ne dépasse pas les 1%.
Bien sûr, la taille totale de l'entreprise constituera toujours un facteur à considérer. Avec une toute petite société comme Jewett-Cameron, il s'avère impossible d'offrir une rémunération de 5M$ par an. La valeur totale de l'entreprise n'atteint que les 17M$! Cependant, pour une grande société dont un dirigeant possède 1% par rapport à un autre qui en possède 10%, une importante différence devrait exister, ce qui inciterait constamment l'acquisition de plus en plus d'actions de l'entreprise afin de pouvoir s'octroyer un salaire plus élevé.
Évidemment, pour une société comme JP Morgan, dont la valeur boursière affiche 134G$, accumuler 10% des actions s'avère une tâche presque impossible. Néanmoins, n'est-ce pas le but recherché? Ne cherche-t-on pas à rendre la rémunération à un niveau raisonnable? Si un dirigeant souhaite gagner un énorme salaire, il devra accumuler pendant longtemps! Ainsi, en plaçant hors d'atteinte ces gros salaires, on évite d'attirer des futurs dirigeants qui seront principalement intéressés par la haute rémunération.
En procédant ainsi, on instaurerait un incitatif pour miser davantage sur l'enrichissement des actionnaires plutôt que sur une croissance créée surtout dans le but de justifier toujours davantage de rémunération. Aux yeux des actionnaires, la croissance signifie souvent ''richesse''. Malheureusement, on obtient parfois l'inverse. En faisant constamment appel aux acquisitions et aux émissions d'actions, certaines sociétés paient trop cher pour les entreprises absorbées, et elles diluent les investissements de leurs actionnaires en émettant toujours de plus en plus d'actions.
Pour qu'un dirigeant puisse réussir à obtenir 10% des actions d'une société, il pourrait considérer la fission de son entreprise en plusieurs parties. Parfois, vaut mieux ''diviser'' l'entreprise plutôt que d'acquérir d'autres filiales. C'est particulièrement le cas pour les sociétés dont la taille rend toujours plus difficile l'atteinte d'un bon rendement sur l'avoir des actionnaires. Or, avec le fonctionnement actuel, la plupart des dirigeants ne veulent surtout pas scinder leur société en plusieurs morceaux! Ils créeraient une situation où leur rémunération risquerait de diminuer au lieu d'augmenter!
Si on arrivait à instaurer des incitatifs de ce genre, nous assisterions probablement à un retour à des salaires beaucoup plus raisonnables. Dans le cas contraire, nous nous assurerions au moins de la bonne foi des dirigeants. Chez W.R. Berkley, par exemple, on aime les rémunérations juteuses. Cependant, après avoir étudié la philosophie du dirigeant fondateur, nous constatons qu'il prend à coeur l'enrichissement des actionnaires. Il demeure prudent et stratégique, car il veut s'assurer de ne pas dilapider les quelques 900M$ qu'il détient en actions de sa propre compagnie.
Nous sommes convaincus que si tous les actionnaires exerçaient une pression constante auprès des dirigeants pour effectuer une migration vers une rémunération plus alignée avec leurs intérêts, nous assisterions à de grands changements avec le temps.