BLOGUE. Jeudi matin dernier, le pape François a envoyé un message sur Twitter, que l'on pourrait traduire en ces termes :
''Mes pensées se tournent vers les personnes qui sont sans emploi, souvent à cause d'une attitude égocentrique axée sur les profits à tout prix.''
Le pape a également donné un discours la journée précédente, dans lequel il faisait référence à un incident survenu au Bangladesh, causant la mort de centaines de travailleurs dans une manufacture.
Il s'avère tout naturel d'éprouver de la sympathie envers ces gens. Quant à la société qui les employait, tout manquement à la sécurité ainsi que toute condition de travail inacceptable doivent être décriés. Toutefois, le discours du pape semble être contradictoire.
Les travailleurs du Bangladesh peuvent certes être considérés comme étant exploités. Les bas salaires ainsi que les piètres conditions de travail le prouvent. Néanmoins, on discute bien d'employeurs qui ont ''embauché'' des gens. Or, le pape critique également les sociétés qui n'embauchent point, parce que ces dernières souhaitent préserver leur profitabilité, laissant sous-entendre qu'elles seraient tout aussi fautives.
Les sociétés offrant de bonnes conditions de travail ne peuvent pas se permettre d'engager du personnel dont elles n'ont point besoin. Prenons la société Costco, cette fameuse chaîne de magasins qui offrent des biens au meilleur prix possible, tout en offrant d'excellentes conditions de travail à ses employés.
Les ventes annualisées de la société s'élèvent à 103G$. Elle compte environ 174 000 employés, dont 45% travaillent à temps partiel. Chez Wal-Mart, on retrouve 2 200 000 employés, dont un important nombre à temps partiel. Ses ventes atteignent 470G$, soit plus de 4 fois celles de Costco.
Pourtant, même si nous ne connaissons pas le ratio exact des heures travaillées (temps plein et pondération des heures chez les temps partiel), nous pouvons constater que Wal-Mart engage nettement plus de travailleurs pour un même volume de vente. Donc, nous pourrions tenter d'appliquer un discours semblable à celle du pape, et mentionner que Wal-Mart devrait offrir de meilleures conditions de travail à ses employés, alors que Costco devrait embaucher davantage de travailleurs plutôt que de penser à sa profitabilité! Dans un monde idéal, on souhaiterait évidemment obtenir le beurre et l'argent du beurre.
Les deux sociétés empruntent des modèles d'affaires différents. Wal-Mart engendre une marge brute de 25% sur ses ventes, comparativement à 12,5% pour Costco. Cette dernière mise davantage sur le volume, et ressemble davantage à un centre de distribution, avec des produits offerts en grandes quantités jumelés à un choix beaucoup plus restreint.
Les gros profits incitent d'autres sociétés à entrer en compétition. Ainsi, plus un secteur devient rentable, plus il devient tentant pour un nouveau joueur de tenter de faire sa place en offrant de meilleurs prix. Même les grandes chaînes qui profitent d'importantes économies d'échelles ne peuvent se permettre d'augmenter les prix sans retenue. Si tel était le cas, le rendement sur l'équité de Wal-Mart et de Costco se situerait à de bien meilleurs niveaux.
Ainsi, si Wal-Mart souhaitait améliorer les salaires sans affecter sa profitabilité, elle devrait invraisemblablement diminuer le nombre d'employés. Quant à Costco, tout ajout d'employés non essentiels devrait être compensé par des conditions un peu moins avantageuses pour tous.
La manufacture du Bangladesh ne constitue certainement pas un bon exemple à citer. Dans les pays pauvres, les lois, les gouvernements et les systèmes politiques diffèrent des nôtres, et nous assistons à toutes sortes d'abus qui ne seraient jamais acceptés dans les pays développés.
Toutefois, le discours du pape peut porter à confusion : on tend à inclure toutes les sociétés dans le même bateau. Une société qui procède à une restructuration afin de rembourser sa dette ou pour rester compétitive doit parfois procéder à des congédiements. Elle est redevable envers ses actionnaires, parmi lesquels nous retrouvons les fonds de pension dont les honnêtes citoyens ont tant besoin pour financer leur retraite.
La création d'emploi ne doit pas s'effectuer en tordant un bras aux corporations en les accusant de ne pas embaucher davantage. On devrait plutôt recourir à la mise en place d'un environnement propice à l'entrepreneuriat. Plus d'entreprises conduit à plus d'emplois. Or, la tendance est plutôt à l'inverse, et le discours du pape ne peut que nourrir la haine ressentie par bien des gens à l'égard des sociétés et du capitalisme en général.
Et vous, que percevez-vous de son message?
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com