Un sujet chaud revient souvent chez le gouvernement américain ces temps-ci : le déménagement de sièges sociaux des sociétés cherchant à abaisser leur facture d'impôts. En anglais, ce phénomène est désigné sous le nom ''Tax Inversion''. Le secrétaire au Travail Thomas Perez a récemment critiqué les sociétés qui y ont recours. Il maintient que cette stratégie équivaut à penser à court terme. Pourtant, les impôts qui seront sauvés seront récurrents, année après année. Nous y voyons plutôt une stratégie à long terme.
Plusieurs sociétés ont procédé à l'acquisition de filiales étrangères, changeant ainsi leur statut fiscal. La pharmaceutique AbbVie d'Illinois s'est emparée de sa rivale anglaise Shire. Elle paiera dorénavant le taux corporatif du Royaume-Uni. La société Mylan de Pittsbugh paiera ses impôts aux Pays-Bas, grâce à l'acquisition d'une filiale d'Abbott Laboratories. Applied Materials bénéficiera également du taux corporatif néerlandais, alors que Medtronic a opté quant à elle pour l'Irlande. Enfin, beaucoup de grogne s'est fait entendre lorsque Burger King décida d'avaler Tim Hortons, amenant ainsi le statut canadien à la société.
Or, le plus important fonds de pension américain, Calpers de Californie, n'exprime pas d'opinion sur la question, ce qui semble intriguer plusieurs personnes. Calpers s'est souvent prononcé, à la manière d'un activiste, en faveur d'une meilleure gouvernance au sein des conseils d'administration. La taille exagérée de la paie de la haute direction fut l'une des causes pour laquelle le fonds a tenté d'exercer son influence.
Fonds de pension : réaction différente des politiciens
Dans le cas du déménagement des sièges sociaux, on pourrait peut-être s'attendre à des réactions de la part d'une organisation d'envergure réputée pour sa recherche d'un meilleur comportement éthique dans les sociétés publiques. Lorsque les entreprises quittent le territoire américain pour sauver de l'impôt, elles privent les citoyens de revenus fiscaux. Toutefois, tout comme bien d'autres fonds de pension, Calpers préfère rester neutre. Anne Simpson, leur gestionnaire de portefeuille principal, déclara : ''Nous n'avons pas de point de vue à ce sujet en tant qu'investisseurs. Nous sommes investis globalement, et nous estimons que les questions d'impôts relèvent du gouvernement.''
Il existe une différence importante entre la rémunération démesurée des dirigeants d'entreprises et les stratégies fiscales utilisées. Le premier cas affecte négativement les actionnaires, et non les payeurs de taxes. Le deuxième cas s'avère tout simplement l'inverse. Lorsqu'une société économise de l'impôt de façon récurrente, la valeur de l'entreprise augmente. Par exemple, si ABC Inc payait 35% d'impôts, et qu'elle déménage dans un territoire où ses profits seraient entièrement exonérés, la croissance des bénéfices atteindrait 54%. Indirectement, à niveaux d'évaluation égaux, le titre vaudrait effectivement 54% de plus. Par conséquent, le phénomène auquel nous assistons favorise grandement les fonds de pension, qui sont en quête de précieux rendements afin de pouvoir rencontrer leurs obligations!
D'un côté, les épargnants y gagnent, puisqu'ils composent la clientèle de ces fonds. De l'autre, les bénéficiaires des prestations et services du gouvernement sont perdants. Par conséquent, la question à savoir si nous devons considérer ces stratégies ''immorales'' ou non, tout dépend de l'angle utilisé pour aborder le phénomène. Chez le gouvernement américain, on crie au scandale, puisque les recettes fiscales sont directement affectées.
Un taux corporatif peu compétitif
Or, les États-Unis afficheraient l'un des taux de taxation corporatif le plus élevé mondialement. Ce lien (cliquer ici) donne un aperçu des différents taux à travers le monde. À Washington, on songe à trouver un moyen pour empêcher les sociétés de déménager. On devrait peut-être songer plutôt à ajuster les taux à un niveau compétitif. Ainsi, non seulement les entreprises demeureraient au pays, mais on attirerait en plus des étrangers à venir s'établir en sol américain.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com