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Au poker, vous devez parier selon les cartes que vous voyez ainsi que les probabilités par rapport aux cartes que vous ne voyez point. Calculer les statistiques et les chances qu'une telle carte apparaisse fait partie des habiletés à développer.
Imaginons un instant que vous jouez sur une table et que vous représentez la population d'un pays. Si vous remportez le magot, toute la population en profitera. Dans le cas contraire, vous risquez d'être démis de vos fonctions, car le pays entier traverse une crise financière et compte sur vous pour le sortir de l'impasse. Tout le monde vous regarde à la télé et suit le moindre de vos gestes.
Vous vous retrouvez en plein dilemme. Vous connaissez bien votre adversaire devant vous, et selon la façon qu'il se comporte, vous savez qu'il détient une main imbattable. Le problème réside dans le fait que vous seul connaissez suffisamment votre opposant pour deviner son jeu. Vous vous retrouvez donc avec deux choix : coucher votre main (abandonner la main), et ainsi éviter de perdre gros, ou appeler la mise en déposant une forte somme afin de voir le jeu de votre adversaire.
Si vous jetez simplement les cartes, vous aurez opté pour le bon choix. Vous éviterez une lourde perte à la population. Toutefois, en procédant ainsi, vous risquez d'être critiqué de toute part et on vous pointera du doigt pour le manque à gagner. Malheureusement, après avoir agi de façon responsable, votre adversaire ne montrera pas ses cartes, et personne ne saura que vous aviez raison. En outre, votre opposant pourrait même faire croire à la population qu'il n'avait aucun jeu valable dans les mains, et ainsi vous couvrir de ridicule!
Quel dilemme! Si vous sauvez votre pays du désastre, vous serez incapable de prouver que vous aviez vu juste. Si vous écoutez plutôt l'opinion populaire, qui se veut souvent plus optimiste, vous ferez face à la lourde responsabilité d'avoir contribué au désastre. Vos détracteurs ne manqueront pas de souligner que vous auriez dû coucher votre main à la place!
Dans bien des situations, nos politiciens doivent vivre avec ce dilemme. Alors que plus en plus de gens discutent à propos du prix élevé des habitations au Canada, on s'interroge sur les moyens à prendre pour contrôler la hausse des prix. Cet article (cliquer ici pour le visionner) révèle l'opinion d'un ancien conseiller du gouverneur de la banque centrale, Paul Masson.
M. Masson croit que les bas taux d'intérêt ont créé de la distortion dans les marchés. Il est grand temps de relever graduellement ces taux. Plus ces derniers demeureront bas longtemps, plus le résultat sera catastrophique lorsque la correction se produira.
Tout comme M. Masson l'a mentionné, nous croyons que plus un marché en ébullition se prolonge, plus les risques d'assister à une fin abrupte augmentent. Selon cette logique, devrait-on envisager d'augmenter les taux maintenant? Aurait-on dû le faire il y a quelques années?
De telles décisions auraient probablement leur efficacité, mais demeurent impraticables sur le plan politique. M. Greenspan, alors qu'il était à la tête de la Fed américaine, aurait très bien pu réagir proactivement en haussant les taux aggressivement et plus rapidement afin de prévenir la folie immobilière américaine d'avant la crise. Quel aurait été le résultat?
Nous aurions sans doute eu droit à une certaine récession. Selon nous, corriger ou prévenir les abus sans aucun mal relève de l'utopie. Or, si M. Greenspan avait effectivement tout fait pour prévenir la crise, le grand public n'aurait pas avalé aussi facilement l'argument à l'effet que le fait de ne pas agir aurait conduit à une catastrophe. Bien au contraire, il aurait été blâmé pour la fin de l'appréciation du prix des maisons, ainsi que pour la quelconque récession qui en aurait découlé, peu importe son ampleur. C'est bien là tout le problème : toute tentative fructueuse de prévenir la crise aurait fait en sorte que personne n'aurait su à quel point les choses auraient pu mal tourner.
Au poker, le joueur politicien serait blâmé d'avoir jeté ses cartes, car personne ne savait ou ne voulait croire qu'aller plus loin conduisait à la catastrophe. Donc, le réflexe consistera souvent à ''avertir'' la population, tout en la laissant ''prendre part'' aux décisions, même dans les cas où elles s'avèrent mauvaises. Notre joueur réagirait donc en déclarant qu'il craint fortement de se faire battre, mais irait tranquillement de l'avant, avec beaucoup de réticences, selon les encouragements tout autour de lui.
Ainsi, lorsque l'inévitable survient, la population constate enfin pourquoi il fallait démontrer de la prudence, et réalise que les réticences du joueur s'avéraient justifiées. En politique, considérons les éléments qui ont un impact à très long terme, comme la dette publique, et on comprendra aisément que la plupart des politiciens n'ont rien à gagner en prodiguant des leçons de prudence si la population ne supporte point déjà leurs idées.
En tant qu'investisseurs, nous n'avons pas à répondre de nos décisions devant un grand public. Nous ne détenons pas ce grand poids à porter. Pour cette raison, on devrait souvent respecter un peu plus la profession de politicien, et ne pas prendre pour acquis qu'il s'avère toujours facile d'agir dans le meilleur intérêt de tous.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com