Le gestionnaire de fonds de couverture Bill Ackman, qui dirige Pershing Square Capital Management, a réalisé mardi la plus importante présentation de sa carrière.
Celle-ci visait à démontrer que la société Herbalife (HLF-N) exploitait une entreprise frauduleuse. Cette entreprise vend des produits nutritionnels favorisant la forme physique et la perte de poids. Son modèle d'affaire repose sur la vente multiniveau, qui consiste à recruter des distributeurs plutôt que de rendre le produit accessible chez les détaillants. Selon M. Ackman, Herbalife serait une supercherie comparable à ce qui survint au sein de la société Enron en 2001, alors que l'on découvrit que le bilan ne reflétait pas la réalité, et que les profits avaient été façonnés.
M. Ackman dirige une firme qui gère une dizaine de milliards de dollars, et apparaît régulièrement à la télévision. Beaucoup de gens suivent de très près ce qu'il fait. En décembre 2012, il avait entrepris un pari important contre l'action de Herbalife, en vendant à découvert ce titre pour un montant d'un milliard de dollars.
Comme ce pari s'est effectué alors que l'action se transigeait dans les quarante dollars, on comprend facilement sa frustration. Il eut bel et bien une chute du prix suite à l'annonce de son pari, mais le titre explosa dans les douze mois suivants, causant une perte sur sa position.
La présentation de ce matin devait à toutes fins pratiques mettre un terme à la «supercherie» que constitue Herbalife, selon M. Ackman. Il s'attendait à ce que le titre plonge à 0$! Or, quelques heures après la divulgation du fruit de ses recherches, nous assistons à l'opposé : le titre s'envole de plus de 20%!
Avait-il raison d'avoir autant de doutes au sujet de la société?
La vente à paliers multiples : une zone grise
À nos yeux, il ne fait nul doute que ce genre de modèle d'entreprise suscite la controverse. Les gens qui recrutent des membres afin de les inciter à distribuer le produit doivent utiliser des arguments très convaincants pour parvenir à leurs fins. M. Ackman stipule qu'il subsiste peu de ''vrais'' acheteurs du produit. Une grande partie de la clientèle serait en fait constituée des distributeurs eux-mêmes ainsi que de leur famille. Il se réfère aux différentes tactiques utilisées pour favoriser la consommation du produit, comme la condition pour les futurs membres d'en acheter régulièrement afin de compléter une «formation» leur permettant de se bâtir une petite entreprise profitable.
Il discute également des fameux clubs de nutrition dont la société fait la promotion, où les gens se regroupent afin de s'encourager mutuellement à suivre un programme de perte de poids ou de mise en forme.
M. Ackman est outragé par la publicité entourant ces clubs de nutrition, alors qu'on y affiche des photos suggérant qu'il s'agit de commerces florissants. Après avoir visité 240 de ces clubs, une inspection qui lui coûta très cher, il conclut que la réalité s'avère différente de ce que suggère la société. Plusieurs d'entre eux sont déficitaires, et ils n'accompliraient pas le but visé à la base, soit la création d'une vraie clientèle, externe aux membres eux-mêmes.
La question qui nous vient à l'esprit : possible, mais devrions-nous être surpris? Où se trouve la fraude comparable à Enron? Si l'on nous avait dit que la société vend une poudre chimique dangereuse pour la santé, nous aurions acquiescé.
Or, la majorité des arguments énoncés par M. Ackman pointent vers les reproches qui sont normalement adressés aux systèmes de vente multiniveau, et ce, depuis des décennies. Il peut critiquer le modèle d'affaires pendant longtemps. Cependant, la société arrivera à défendre sa position dans bien des cas, puisque tout est sujet à interprétation, d'où la fameuse zone grise. ''Cette personne a-t-elle vraiment acheté le produit uniquement dans l'espoir de devenir distributeur, ou voulait-elle vraiment en tester les bénéfices?'' ''Le dernier client acquis est-il vraiment un client, ou est-ce une personne à qui on cherche à vendre l'idée de devenir distributeur?''
Position risquée pour la vente à découvert
Très souvent, la vente d'un concept sera accompagnée d'un certain embellissement de la réalité. Lorsque l'on voit les ingrédients d'un hambourgeois se faire couper dans une publicité, on peut apercevoir la laitue et la tomate juteuse resplendissant de couleurs. On voit au ralenti les gouttes d'eau étincelantes jaillir à travers la lumière et les rayons de soleil qui pénètrent la pièce où ce merveilleux hambourgeois est confectionné. Dans la réalité, le restaurant qui use de ce genre de publicité nous fournira fréquemment un hambourgeois garni d'une laitue défraîchie avec un morceau de tomate sèche et pâle.
Certes, beaucoup de gens sont affectés et déçus par les systèmes de vente multiniveau, car on leur promet des profits intéressants. Toutefois, les personnes possédant d'excellents talents de vendeur arriveront probablement à leurs fins. C'est pourquoi il s'avère fort difficile pour M. Ackman de prouver hors de tout doute que la société ne vend que du vent. Comme le prix du titre de Herbalife se transigeait à un niveau plus que raisonnable lors de sa prise de position en fin de 2012, la vente à découvert présentait un risque non négligeable.
Malgré la grande finale qui semble avoir été complètement ratée, nous soulignons les efforts de M. Ackman. Ce genre de débat soulève des questions qui amèneront certainement l'industrie à adopter des pratiques plus équitables envers tous à long terme.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com