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Après avoir expliqué pourquoi les prêts à court terme sont si onéreux (voir blogue), nous abordons ici la facette ''éthique'' de cette industrie, en étudiant un cas vécu parmi la clientèle d'un prêteur qui connaît beaucoup de succès aux États-Unis avec les prêts à remboursements fixes.
Un triste exemple
Il s'agit du cas de Katrina Sutton dans l'état de Géorgie, qui commença sa mésaventure en août 2009 (cliquer ici pour le lien de l'article de référence). Mme Sutton, 31 ans, travaillait chez Wal-Mart à temps partiel, et avait besoin d'argent pour réparer sa vieille voiture. Elle passa devant une succursale de World Finance (World Acceptance, WRLD-Q), et en échange d'un prêt de 207$, elle accepta d'effectuer sept remboursements de 50$ chacun sur plusieurs mois.
Afin de garantir son prêt, Mme Sutton a hypothéqué deux téléviseurs, un lecteur DVD, un jeu Sony Playstation ainsi qu'un ordinateur, pour une valeur totale de 1600$. Sa voiture fut également ajoutée parmi les garanties. Vous vous demandez peut-être pourquoi la valeur des garanties grimpe aussi haut en comparaison avec le ridicule montant prêté de 207$. Or, il s'avère que la société prêteuse a rarement recours aux garanties pour satisfaire le remboursement. Saisir et revendre des biens usagés exige du temps et de l'énergie. Donc, ces biens hypothéqués servent davantage à donner du poids à d'éventuelles menaces lorsque l'emprunteur omet ses paiements. Des commentaires comme ''nous prendrons la plupart de vos biens, vous n'aurez plus rien'' exerce un pouvoir de persuasion très efficace.
Selon les termes du contrat de Mme Sutton, le taux d'intérêt était fixé à 90%. Cependant, avec tous les frais qui y étaient associés, incluant certaines primes d'assurance, le coût annualisé total s'élevait à 182%. Les assurances couvrent entre autre le rembousement du prêt en cas de défaut. Qui est le bénéficiaire? Le prêteur, bien sûr! Le comble de l'ironie : Mme Sutton payait les primes, et World Acceptance empochait une généreuse commission pour avoir référé un client à l'assureur. En outre, la prime est financée, ce qui permet de charger des intérêts sur celle-ci.
La firme effectue des prêts à court terme, mais le client devient un client à long terme. En effet, les prêts sont fréquemment renouvelés : 75% des 750M$ de prêts qu'elle affiche sur son bilan provient des renouvellements. Les employés du prêteur appellent régulièrement les clients pour leur faire savoir qu'ils ont une balance de fonds disponible en cas de renouvellement du prêt avant échéance. Comme les intérêts et les frais s'élèvent à un grand pourcentage des premiers paiements, le capital remboursé demeure minime lors des premiers mois. Toutefois, lorsque exposés à la tentation, les clients sautent souvent sur l'occasion. Ce fut le cas de Mme Sutton, qui après seulement 3 paiements, s'est vue offrir un renouvellement lui permettant d'obtenir 44$ additionnels. Pour cette modique somme, elle était prête à retourner à la case départ, et devait toujours le montant initial en sus des frais exorbitants qui étaient chargés à nouveau.
Quelques temps plus tard, notre emprunteuse a dû composer avec des heures de travail réduites chez Wal-Mart, ne lui permettant plus d'effectuer ses paiements à temps. Son cauchemar ne faisait qu'empirer. Des employés de World allaient la voir à son travail pour la persuader de payer. Ils ont finalement réussi à geler le compte dans lequel elle percevait son salaire, ne lui permettant même plus de faire le plein d'essence pour aller au travail. Finalement, en ayant recours à une firme qui se porte à la défense des gens démunis dans ce type de cas, elle réussit à se débarrasser d'eux une fois pour toute.
Bannir l'industrie?
Comme on peut le voir, ce type d'industrie donne facilement lieu à des abus envers les débiteurs. On offre des prêts à des montants qui ne sont pas économiquement rentables pour l'institution. On a donc recours à toutes sortes de stratégies pas très honnêtes afin de gonfler le taux d'intérêt ainsi qu'à des moyens douteux pour s'assurer du remboursement.
À noter que les frais reliés aux saisies seraient tout aussi peu viables économiquement pour le prêteur. Tenter de s'emparer d'un lecteur ou d'un téléviseur par des moyens légaux ne fait pas de sens financièrement. Une banque conventionnelle pourra facilement absorber les frais légaux en saisissant une maison ou une voiture dont la valeur s'élève à plusieurs milliers de dollars. Comme une société telle que World Acceptance ne jouit pas de cet avantage, elle s'adonne à des pratiques très discutables.
Par conséquent, en l'absence d'une profitabilité raisonnable possible avec des moyens acceptables, ce genre d'industrie ne devrait pas exister. Par la même occasion, son existence et la forte croissance de World Acceptance met en lumière un besoin criant d'éducation financière chez les individus qui ont régulièrement recours à ce type de services.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com