Parfois, nous sommes tellement près de l'arbre que celui-ci cache la forêt. Un professionnel peut très bien connaître à fonds le fonctionnement d'une société à force d'étudier son procédé de fabrication, ses clients ou ses fournisseurs. Malgré toutes ces informations, il n'arrivera pas nécessairement à prendre une décision éclairée quant à l'achat ou la vente de ses actions sur le marché boursier. Notons que ce constat prévaut également pour les sociétés privées si l'on détient la possibilité d'acheter ou vendre une partie ou la totalité de ses actions.
En tant qu'investisseur, nous nous fions aux documents publics pour effectuer nos analyses. Nous décortiquons les états financiers et les rapports annuels, et nous parcourons le réseau internet dans l'espoir de dénicher des articles ou des affirmations pouvant renchérir notre analyse. Lorsque c'est possible, nous discutons avec des clients, des fournisseurs ou des employés.
Si le travail du consultant consiste à améliorer la rentabilité de l'entreprise, imaginez un instant toute l'information qui lui est disponible. Il peut poser de nombreuses questions, sans craindre d'obtenir des réponses biaisées. Lorsqu'un investisseur interroge un dirigeant, ce dernier tentera de répondre à la question. Toutefois, il sait que l'image de la société doit être préservée, et sera souvent amené à forger ses réponses de façon à promouvoir l'entreprise.
Vis-à-vis un consultant, la tentation de déformer la réalité n'est pas aussi élevée, puisqu'il en va de l'intérêt du dirigeant de révéler les faiblesses et les forces de l'entreprise. Si l'on veut que le consultant puisse prodiguer les meilleures recommandations possibles, vaut mieux décrire l'entreprise comme elle est. On sera même porté à souligner les faiblesses, puisque l'on espère justement recevoir des conseils pour les améliorer.
Souvent, l'investisseur ne jouit pas des mêmes privilèges, puisque la divulgation d'une faiblesse aurait pour conséquence de l'amener à bouder le titre de la société. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien que le célèbre investisseur Philip Fisher aimait questionner la compétition à ce sujet : souvent, les sociétés souligneront volontiers les lacunes de leurs concurrents, probablement afin de nous faire remarquer leurs propres forces.
Les éléments pouvant nuire aux consultants
Pour fins de comparaisons, nous avons pris pour acquis que les consultants détenaient le droit d'acquérir des actions de la société à laquelle ils offrent leurs services. En pratique toutefois, ce droit peut être enrayé temporairement, étant donné qu'ils jouissent d'informations privilégiées par rapport aux investisseurs externes.
Nonobstant ce fait, devraient-ils être en mesure de prendre de meilleures décisions d'investissement? Avec autant d'information sur une entreprise, ne devraient-ils pas performer mieux qu'un investisseur qui n'a accès qu'aux documents publics?
Tout d'abord, l'état d'esprit dans lequel celui-ci se trouve lorsqu'il effectue son travail ne convient pas tout à fait à l'attitude qu'il faut lorsque l'on désire investir. Un consultant cherche d'abord à offrir le meilleur service possible à son client, afin de justifier sa rémunération et d'obtenir de bonnes recommandations par la suite. Sa réputation est en jeu, et comme le but premier n'est pas ''d'investir'', il se concentrera d'abord sur son travail. Certaines questions importantes qui seraient cruciales en tant ''qu'investisseur'' seront donc négligées, si elles ne sont pas pertinentes au travail à accomplir.
Deuxième élément et non le moindre : les questions d'évaluation du titre et de la psychologie boursière sont totalement inexistantes dans le cadre du travail du consultant, à moins que celui-ci ne soit un conseiller en acquisitions ou vente d'entreprises. On peut tomber en admiration devant une société exceptionnelle en étudiant son fonctionnement. Malgré tout le travail d'analyse effectué sur le plan de son fonctionnement, un achat du titre à un prix trop élevé anéantira les possibilités d'obtenir un gain intéressant. De plus, les fluctuations du titre risquent de biaiser le jugement du consultant s'il ne possède pas une solide expérience en matière de psychologie de l'investisseur.
Des tonnes de connaissances sur une industrie et une société ne pourront jamais compenser pour un mauvais tempérament à la Bourse. Le piège de l'ancrage, la peur, l'avidité et un manque de compréhension du lien entre le titre et la société constituent des éléments à maîtriser à tout prix pour assurer le succès de l'investisseur.
L'arbre et la forêt : observer la société avec des lunettes d'investisseur
Pour le consultant, l'ensemble de ses connaissances sur la société pour qui il travaille constituerait sa source globale d'informations pour prendre une décision. Comme nous l'avons mentionné précédemment, si le titre de la société se transige à un prix nettement trop dispendieux, un investissement dans celui-ci peut s'avérer une catastrophe. En étant trop près de l'arbre qui cache la forêt, on omet de considérer l'élément essentiel.
Pour l'investisseur avisé, étudier l'entreprise le plus en profondeur que possible constitue une partie de son analyse. Si l'évaluation s'avère plus ou moins intéressante, il doit regarder l'ensemble des autres titres disponibles à la Bourse afin de déterminer s'il ne peut trouver mieux. Pourquoi s'attarder autant sur un titre si son potentiel demeure limité?
Toutefois, l'investisseur a tout à gagner en questionnant ou en écoutant un consultant qui a travaillé étroitement avec une société quelconque. Il peut apprendre et approfondir ses connaissances, et ainsi mieux comprendre l'industrie ainsi que les forces et faiblesses de la société en question. Ainsi, il sera en mesure de mieux évaluer la valeur de l'entreprise, et saura saisir l'occasion d'acheter son titre au moment opportun.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com