Il y a quelques jours, James Chanos, un célèbre gestionnaire de fonds de couverture new-yorkais, s'est prononcé à l'égard de la société Groupe CGI. Il a misé significativement sur l'effondrement de son titre. M. Chanos s'est fait connaître entre autres grâce à son pari contre la société Enron, qui s'écroula en 2001 après avoir fait les manchettes. Rappelons-nous qu'Enron avait fait l'objet d'une comptabilité douteuse. Les investisseurs ont perdu gros : le titre aurait atteint près de 91$ en l'an 2000, pour aboutir à 1$ en l'an 2001. M. Chanos profita de la chute du titre, puisqu'il le vendit à découvert avant que n'éclate le scandale.
Présentement, la société Groupe CGI ne fait point l'objet de scandale, et nous n'avons personnellement pas étudié ses états financiers. Nous avons toujours pensé qu'il s'avère fort difficile de faire fortune avec la vente à découvert. Comme disait Warren Buffett, on peut faire banqueroute avant d'avoir raison avec cette stratégie. Autrement dit, si vous dénichez une société que vous jugez risquée ou fortement surévaluée, vous pourriez perdre de l'argent en tentant de parier sur l'effondrement de son titre.
On ne peut pas définir la vente à découvert comme étant simplement l'inverse d'un achat. Certes, le profit à réaliser découlera de la baisse du titre. Toutefois, certains éléments contraignants défavorisent le vendeur à découvert, comme la disponibilité du titre chez son courtier, ainsi que l'absence d'éléments déclencheurs qui sont normalement possibles pour ceux qui prévoient plutôt la hausse du titre. Par exemple, une société dont le cours est nettement sous-évalué peut décider d'instaurer ou d'augmenter le versement de dividendes. L'action contraire consisterait à ''exiger'' de l'argent des actionnaires. Ainsi, si la direction d'une entreprise juge que son titre affiche une valeur trop élevée et qu'elle veut tenter de corriger la situation, elle ne peut pas mettre en place un dividende ''négatif''.
Devrait-on ignorer tout ce qui touche la vente à découvert?
Est-ce que cela signifie que l'on devrait se désintéresser totalement de la vente à découvert? Absolument pas! Bien au contraire, il s'agit d'une belle occasion de valider un investissement que vous possédez déjà ou que vous désirez effectuer, en étudiant ceux qui s'y adonnent. Par exemple, si vous aimez Groupe CGI, vous devriez scruter en détails tous les commentaires négatifs émis à son sujet sur le net et dans les autres médias.
Lorsque nous étudions ou suivons un titre, nous sommes toujours à l'écoute des ''pour'' et des ''contre'' que nous lisons ou entendons un peu partout. Vous remarquerez que le camp des ''pour'' est souvent plus large : les experts aiment recommander les titres qu'ils favorisent. Or, pour bien réussir en bourse, nous prônons fortement la marge de sécurité. Nous tentons donc de découvrir tous les risques possibles afin d'éviter les mauvaises surprises. Par exemple, dans les rapports annuels, nous recherchons des indices à cet effet. Sur le net, nous effectuons des recherches afin de trouver des documents ou des articles qui nous fournissent des réponses sur les risques plausibles.
Les vendeurs à découvert permettent au marché boursier de ressembler davantage à une Cour de justice, dans laquelle il existe un avocat de la défense et un procureur. Appelons-les les avocats du ''pour'' et du ''contre''. Avec un seul avocat à l'assemblée, le jugement risquerait d'être biaisé. Si seul l'avocat du ''pour'' prononce son discours, le jury (nous les investisseurs) ne prendra pas une décision à la lumière de tous les faits. En ayant la chance d'écouter les deux camps, nous nous assurons d'un maximum d'objectivité, puisque chacun d'eux cherche tous les arguments possibles en faveur de leur position. Cela ne signifie point que leurs arguments soient tous valables. Dans certains cas, l'un des deux camps n'offre aucun point valide, mais le jury doit les analyser afin de pouvoir prendre une décision éclairée.
Par conséquent, les vendeurs à découvert nous facilitent la tâche! Lorsqu'ils parlent négativement de l'un de nos titres, nous écoutons. Tout d'abord, nous pouvons d'emblée constater si nous avions omis un risque en particulier ; et surtout, nous pouvons comprendre la faible évaluation du titre, le cas échéant, car nous savons que les investisseurs réagissent souvent trop rapidement aux opinions véhiculées. Lorsque les commentaires des vendeurs à découvert ne sont pas justifiés à notre avis, nous en profitons souvent pour augmenter notre position. Dans le cas contraire, nous savons quoi faire.
Devriez-vous écouter M. Chanos?
Concernant le titre CGI, son évaluation ne nous attirait point. Nous ne connaissons donc pas assez bien la société pour valider ou invalider les commentaires de M. Chanos. Si par contre personnellement vous détenez le titre, il est impératif de vous intéresser à tout ce qui est véhiculé à son sujet. Comme les critiques négatives s'avèrent souvent plus rares que les positives, ne négligez pas l'étude de l'opinion de vendeurs à découvert. L'essentiel consiste à en apprendre toujours davantage et à former votre propre opinion. Vous prendrez alors de meilleures décisions, que ce soit pour vendre le titre ou en acheter davantage!
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com