BLOGUE. Épargner, c'est bien. Trop peu de gens se disciplinent à le faire avec régularité. Toutefois, la façon dont ces épargnes sont utilisées peut créer des conséquences auxquelles vous n'aviez peut-être pas songé. Un épargnant peut donc se retrouver dans un des deux grands principaux camps : les bénéficiaires et les contributeurs à la richesse de ces derniers.
Par «bénéficiaires», nous désignons les gens qui profitent des taux d'intérêt ridiculement bas offerts sur le marché un peu partout. Quant aux ''contributeurs'', ils correspondent aux personnes qui rendent possible cette situation. En effet, sans eux, il n'existerait pas de bénéficiaires. Nous connaissons des gens dans notre entourage qui cumulent du capital «'sagement» mobilisé dans une institution financière. La compensation qu'ils obtiennent pour le prêt de ce capital tend vers le néant.
C'est un peu comme acheter une voiture, et la prêter à une tierce personne qui ne paiera que les frais d'utilisation, incluant l'usure du véhicule. Vous n'aurez peut-être pas de coûts à défrayer, mais le capital qui a été allongé au départ pour l'achat du véhicule ne vous rapporte rien. Par conséquent, la personne qui jouit de votre véhicule obtient un avantage provenant de vous. Le capital qui n'a pas été investi de sa part peut être utilisé ailleurs.
Des taux qui font saliver les entreprises
Nous assistons clairement à cette tendance dans le monde des affaires. Il suffit de regarder du côté des nombreux refinancements d'entreprises. Les taux sont devenus si avantageux que même les sociétés qui n'ont point besoin d'argent recourent aux emprunts à long terme, confiantes qu'il s'avèrera aisé de rentabiliser ce capital à si faible coût.
La société Apple (Nasdaq, AAPL) a récemment émis de la dette en Europe pour l'équivalent de 3,5G$ américains, à des taux bien inférieurs à 2% pour des échéances assez longues. Elle profita de cette occasion malgré sa grande rentabilité et sa gigantesque encaisse.
Jetons maintenant un coup d'oeil à la société Ally Financial (ALLY-Q). Elle tire nettement avantage de la tendance en ce moment. Cette entreprise offre dans les prêts automobiles dans les concessionnaires. Elle utilise des prêts à long terme pour se financer, mais son statut bancaire acquis durant la crise lui permet d'accepter des dépôts des particuliers.
Comme sa dette conventionnelle comporte des taux d'intérêt plus élevé, elle se refinance en remplaçant graduellement les plus dettes les plus onéreuses. Ally paie environ 1,2% sur ses dépôts, comparativement à certaines créances pour lesquelles elle doit payer des taux de 8%. Dans ce cas-ci, les bénéficiaires de la situation correspondent aux actionnaires d'Ally, alors que les contributeurs à leur richesse sont les déposants qui s'emparent des dépôts. La société obtient plusieurs milliards de dollars additionnels par an de ce type de financement.
Le cas de la banque Wells Fargo (WFC-N) s'avère digne de mention. Elle payait une moyenne de 0,13% annuel sur ses dépôts portant intérêts au dernier trimestre. En l'an 2000, ses dépôts coûtaient un peu plus de 4%. Un prêt commercial exigeait à l'époque une moyenne de 9,5% d'intérêts. Cette même catégorie de prêts engendre maintenant un taux de seulement 3,3% pour la banque.
Le climat actuel favorise nettement les utilisateurs de capitaux
Chez les épargnants de Wells Fargo, on assiste à une concession énorme. En considérant le taux que cette banque payait en l'an 2000, les déposants accusent un manque à gagner de 32G$ sur les 820G$ de dépôts d'aujourd'hui. Quant à la banque elle-même, elle retire un taux net entre les prêts et les dépôts qui est moins élevé ces jours-ci qu'à l'époque, ce qui confirme le grand avantage conféré aux utilisateurs de capitaux à versements fixes.
Ce n'est pas un secret pour personne: la majorité des gens riches détiennent des actions en Bourse ou de l'immobilier. Les gens de la classe moyenne qui épargnent avec discipline contribuent indirectement à l'enrichissement des gens plus fortunés s'ils privilégient les produits à bas taux d'intérêt. D'une part, ces personnes se contentent d'une maigre compensation pour le prêt de leur précieux capital. D'autre part, qu'elles le veuillent ou non, ce capital est ensuite redistribué à des taux ridicules aux entrepreneurs, sociétés et investisseurs. Par conséquent, certains capitaux que l'on voulait mettre à l'abri de la Bourse se retrouvent indirectement... à la Bourse. On aide ainsi beaucoup de gens fortunés à s'enrichir davantage.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com