En décembre dernier, un article intéressant a été repris par plusieurs médias concernant un petit café français qui eut recours à une tactique originale afin d'élever le degré de politesse chez sa clientèle. Cet article (cliquer ici pour une version française) raconte que le café ''La Petite Syrah'' avait établi trois prix différents pour son café, en fonction de la façon qu'il était demandé par le client. Un client qui ordonnait ''un café'' se voyait charger 7 euros, alors que s'il rajoutait ''s'il vous plaît'', ce prix tombait à 4,25 euros. Finalement, s'il prenait la peine de dire ''bonjour, un café s'il vous plaît'', seulement 1,40 euro était facturé.
Ces différents prix furent affichés sur un tableau d'ardoise. Toutefois, en pratique, il ne seraient point applicables. Peu importe la formule utilisée pour exiger son café, on devait payer uniquement 1,40 euro. Néanmoins, plusieurs clients se sont prêtés au jeu, comme le souhaitait le propriétaire. L'originalité de la situation aura attiré l'attention, puisque la photo de l'ardoise s'est propagée rapidement sur Twitter.
Remarquez la façon dont les prix sont fixés. On commence d'abord avec un café demandé sans formule de politesse, à 7 euros. Le recours à des formules de politesse ''réduit'' le prix. La subtilité réside dans l'ordre utilisé. Si au contraire, on avait démarré avec un café à 1,40 euro pour la phrase complète, et qu'on avait enchaîné en chargeant un supplément lorsque cette phrase n'est pas exprimée, on aurait presque systématiquement froissé les clients. Au lieu d'une réduction de prix en cas de politesse, nous aurions assisté à l'imposition d'une pénalité en cas de manque de politesse.
''Différence subtile'', nous direz-vous? Il s'agit simplement du recours très courant à l'ancrage (consciemment ou pas), pour lequel on fixe un prix, et ensuite on le réduit. L'écart entre les deux correspond à la récompense ou au cadeau offert par le commerçant.
Dans les magasins, la vieille tactique consistant à afficher des soldes partout fonctionne encore et encore. Les clients savent bien que dans beaucoup de cas, les prix sont d'abord gonflés, et ensuite révisés à la baisse sous forme de rabais. Néanmoins, on donne souvent le bénéfice du doute : ''c'est peut-être réellement un rabais de 50%; sinon, c'est tout de même un certain rabais!''.
À la télévision, les annonces publicitaires affichant des produits que l'on peut commander par téléphone incluent régulièrement une offre de deux pour un à la fin du message. Ainsi, on vous offre un certain appareil sensationnel pour 20$. Une fois que le message a été martelé quelque fois, on finit par croire que l'appareil vaut vraiment 20$. Pourtant, on termine en mentionnant que si l'on commande rapidement, on obtient un appareil supplémentaire pour le même prix. Pourquoi ne pas avoir dit depuis le début que les appareils ne coûtaient en fait que 10$ chacun? C'est simplement parce que l'offre n'aurait pas eu autant d'impact si on avait affiché deux appareils pour 20$ dès le départ.
Nous sommes régulièrement témoins de l'utilisation de cette tactique psychologique pour engager un consommateur dans des débours à long terme. Dans un club ou une organisation quelconque, si un service ou un certain bien coûte un prix exagéré, celui-ci sera mentionné au membre. Ce dernier sursautera de toute évidence. Par la suite, on lui explique qu'en prenant un certain engagement, il aura droit à des rabais importants.
Ainsi, non seulement le membre pense qu'il a bénéficié d'une importante réduction, mais en plus, il vient de s'engager dans des débours échelonnés sur une certaine période de temps. S'il abandonne avant la fin, le rabais peut lui être retiré, ce qui constitue un puissant incitatif pour le retenir dans le programme.
Par exemple, supposons qu'un programme de formation coûte 10 000$ et qu'on vous annonce qu'une ristourne de 5000$ vous sera octroyée si vous le complétez et si vous vous qualifiez. Vous aurez l'impression que le programme vaut davantage que les 5000$ net de coût auquel il vous revient. Vous vous doutez bien que les 10 000$ demandés sont peut-être exagérés, mais l'organisme ou la société offrant le service jouit du bénéfice du doute.
Imaginez maintenant si l'on procédait à l'inverse : on vous offre une formation de 5000$, mais si vous ne poursuivez pas le programme jusqu'à la fin, ou pire, si vous échouez, on vous charge un frais additionnel de 5000$. Vous crieriez probablement au scandale!
En effet, le coût net s'avère exactement le même dans les deux cas, mais la façon de présenter l'offre fait toute la différence. En tant que consommateurs ou entrepreneurs, nous sommes fréquemment exposés au piège de l'ancrage, que ce soit dans le cadre d'achat d'un bien, ou dans la négociation d'un contrat. En tant qu'investisseurs, nous nous leurrons souvent nous-mêmes. Lorsqu'un titre se transige pendant deux ans autour de 50$, et qu'il s'effondre soudainement à 30$, il s'avère ardû d'oublier qu'il s'est déjà transigé à 50$. La chute de 40% aura tendance à biaiser nos estimés. Or, afin d'éviter de penser en termes de ''rabais'', il faut s'efforcer de fixer son attention sur la valeur de l'entreprise et ses perspectives futures.
On peut bien sûr observer les titres qui ont chuté, et vérifier s'ils représentent des aubaines véritables. Cependant, il ne s'agit qu'un point de départ. On doit s'assurer que la valeur de l'entreprise n'a pas ''elle aussi'' chuté, et ainsi oublier le prix auquel se transigeait les actions auparavant.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com