En fin de semaine dernière, nous avons eu le plaisir de participer au pèlerinage du capitalisme qu'est l'assemblée annuelle de Berkshire Hathaway (BRK.A-N). Comme à chaque année, un grand nombre de personnes se sont jointes à l'événement. Environ 40 000 personnes étaient présentes au CenturyLink Center d'Omaha.
À l'étage inférieur, on y retrouvait les habituels kiosques d'exposition représentant chacun une filiale de la société. On pouvait entre autres visiter l'intérieur d'un des avions de NetJet ainsi qu'au moins deux véhicules motorisés de style «Winnebago» de luxe de Forest River. Dès les premières heures en matinée, la foule s'accumulait autour des expositions, malgré la tenue de l'assemblée dans le grand centre, où MM. Buffett et Munger répondaient aux questions.
La question que nous nous posons concerne le futur de la popularité de cet événement ainsi que la poursuite de la culture d'entreprise instaurée par son grand dirigeant. Qu'arrivera-t-il lorsque M. Buffett ne sera plus de ce monde?
La réponse réside peut-être dans la motivation poussant les gens à assister à cet événement. Viennent-ils pour mieux connaître Berkshire Hathaway, ou pour voir et entendre M. Buffett? Personnellement, notre intérêt repose davantage sur l'individu que la société. Nous soupçonnons que bien des gens sont plutôt attirés par tout ce qui entoure l'événement, comme les expositions. Toutefois, les personnes qui se déplacent d'un continent à l'autre pour y assister risquent de démontrer moins d'intérêt à effectuer un tel voyage si l'Oracle d'Omaha n'y était plus.
Maintenir la culture chez Berkshire
Maintenir la culture chez Berkshire
Quant à la culture d'entreprise, elle devrait demeurer pour un certain temps, mais certains comportements humains posent des risques à son maintien. Les dirigeants des filiales qui ont vendu leur entreprise à Berkshire Hathaway souhaitaient continuer à l'opérer et à la préserver. Ils savent que Berkshire ne procèdera pas à son démantèlement afin de réaliser un profit rapide. Il serait très facile pour M. Buffett de décider de rendre publique l'une de ses nombreuses sociétés, afin de tirer profit des tendances chez les investisseurs, le cas échéant.
En vendant à Berkshire Hathaway, on s'assure d'une continuité, ce qui s'avère particulièrement important pour un fondateur qui a investi toute sa vie dans la création de son «oeuvre». Or, en l'absence de M. Buffett pour veiller à la bonne continuité de ces compagnies, plusieurs éléments pourraient entacher la préservation de cette culture.
Tout d'abord, bien des fondateurs acceptent probablement un prix inférieur pour leur entreprise qu'ils auraient obtenu en vendant au plus offrant. Ils souhaitent faire partie de la grande famille de Berkshire. Ils ont de l'admiration pour M. Buffett, et ils doivent être fiers de participer à l'essor de son empire. Ils sont motivés à travailler fort et à donner le meilleur d'eux-mêmes. La rémunération ne constitue normalement pas la préoccupation première.
Si M. Buffett est absent, aura-t-on autant d'admiration pour les hauts dirigeants en place? Si on développe l'impression de travailler pour une organisation qui n'est plus exceptionnelle, le dévouement de certains fondateurs pourrait être affecté. Certains de ceux-ci remettront peut-être en question les décisions des dirigeants successeurs, et voudront ainsi redevenir indépendants. Si M. Buffett disait à certains d'entre eux qu'il valait mieux lui remettre les profits de leur société, afin qu'il les réaffecte à un secteur plus prometteur, on le respectait. Le même genre de directive provenant d'autres personnes risque de rencontrer plus d'opposition de la part de ceux qui tiennent à croître leur entreprise au sein de Berkshire.
Deuxièmement, avec le temps, plusieurs dirigeants de filiales vont devoir se retirer ou décèderont. Il s'agit des personnes en qui M. Buffett avait la plus grande confiance pour gérer ces sociétés. Or, peut-être que certains dirigeants avaient songé à sélectionner leur fils ou fille comme remplaçant, comme l'on voit souvent chez les entreprises indépendantes. Il est tout à fait naturel d'aspirer à voir ses enfants siéger à la tête de ce que l'on a bâti toute sa vie. On sait toutefois que bien des successions d'entreprises échouent. La descendance d'un fondateur ne constitue pas nécessairement le meilleur choix pour prendre la relève. Sous le regard de M. Buffett, il s'avère sûrement plus difficile de justifier ce genre de succession. Sans M. Buffett, si plusieurs dirigeants le font, la plupart d'entre eux pourraient souhaiter bénéficier du même privilège.
Le défi d'Howard Buffett
Le défi d'Howard Buffett
Le célèbre investisseur a prévu le coup, et a nommé son fils, Howard, qui veillera à préserver la culture de l'entreprise. Nous ne doutons point de ses compétences, et assurément, il sera très motivé à protéger l'oeuvre de son père. Il détiendra, entre autres, le pouvoir de congédier un dirigeant. Toutefois, comment certains des fondateurs des filiales percevront le fait qu'il s'agit du fils de M. Buffett, si on leur refuse le droit de nommer leur propre enfant à la tête de la société qu'ils ont créée?
Nous ne sommes pas en train de dire que le maintien de cette culture est voué à l'échec. Nous soulignons simplement la grande difficulté et la complexité que pose la sauvegarde d'une philosophie de pensée lorsque les hauts dirigeants changent. Un défi de taille attend Howard Buffett.
Pour ceux qui sont actionnaires de Berkshire Hathaway, ne vous inquiétez pas : M. Buffett va peut-être vivre encore 20 ans! En outre, la perte d'une culture ne se produit pas du jour au lendemain.