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Le 6 août dernier, Becker Milk Company (BEK.B-T) annonça dans un document public son intention de rechercher un acheteur pour l'entreprise. Rappelons-nous qu'avant la crise financière, la société s'était mise en vente, mais qu'elle s'était ravisée de le faire quelque temps plus tard étant donné les conditions du marchés. Cinq ans se sont écoulés depuis la crise, et c'est seulement aujourd'hui que le projet est remis de l'avant.
Plusieurs dividendes spéciaux ont été annoncés dans les années passées, au fur et à mesure que l'encaisse s'accumulait avec les profits. Nous en avions discuté dans le blogue suivant (cliquer sur le lien). Ces dividendes qui étaient versés en sus des dividendes réguliers procuraient un certain attrait pour l'investisseur, mais dans un monde où nous n'avions aucune difficulté à trouver d'autres titres intéressants, nous préférions passer notre tour et vendre notre position malgré l'escompte qui existait toujours par rapport à la valeur de l'entreprise.
En outre, nous nous questionnions sur les intentions des dirigeants. Étant donné que nous nous attendions à un revirement de l'économie canadienne, tout délai supplémentaire amenait le risque de ne plus pouvoir mettre la société en vente dans des conditions avantageuses. Or, heureusement pour l'entreprise, le Canada s'en tire encore assez bien. Suite à l'annonce de l'intention de vente, le titre s'est apprécié pour se rapprocher de la valeur que nous estimions à l'époque, soit 17$ par action.
Acheter ou conserver le titre aurait-il été avantageux? Il peut être intéressant d'analyser le rendement que nous aurions pu obtenir si notre décision avait été différente il y a un an ou deux. Nos dernières actions ont été vendues entre 11 et 12$. Compte tenu du prix actuel de 16,65$, il s'agit d'un profit d'environ 63% (en incluant les dividendes) sur 1 an et demie, ce qui correspond à un rendement annuel de près de 40% (sans actualiser le rendement des dividendes).
Faut-il en conclure que le titre constituait nécessairement un achat à 12$? Autrement dit, si nous dénichons une autre société aux conditions similaires, serions-nous intéressés? Voilà une question importante et intéressante, car tout reposait sur un élément en particulier : l'élément déclencheur.
Lorsque l'on achète des actifs sous-évalués, il arrive fréquemment que ceux-ci ne génèrent pas le profit potentiel qu'ils devraient. Dans le cas de Becker Milk, la société n'avait recours à aucun emprunt pour magnifier son rendement. Or, dans le domaine de l'immobilier, le rendement après impôts que l'on retire sera bien maigre si l'on ne bénéficie pas de l'effet levier que ce genre d'actif permet de faire. C'est pourquoi nous pensons que la société se transigeait à fort escompte.
Avant la crise, les dirigeants avaient mis la société en vente, ce qui constituait l'élément déclencheur. En effet, un acheteur potentiel aurait payé un prix en fonction de la rentabilité qu'il obtiendrait avec l'aide de l'effet levier. Lorsque les dirigeants ont changé d'avis à propos de la vente, l'élément déclencheur s'était envolé en fumée. Seuls les profits actuels nous servaient de guide pour notre évaluation.
Par conséquent, à moins de savoir à l'avance que l'annonce du 6 août allait être publiée, nous n'étions pas en mesure il y a un an ou deux d'estimer si le profit potentiel d'un tel titre pouvait nous intéresser. Donc, acheter ou conserver le titre constituait une bonne option pour un investisseur qui était prêt à se contenter des dividendes, réguliers et extraordinaires. L'annonce de la vente devenait alors un ''bonus'', puisqu'elle s'avérait très incertaine.
L'exemple de Becker Milk souligne l'importance de s'assurer de bénéficier d'un élément déclencheur lorsque l'on applique la philosophie de Benjamin Graham, qui prônait surtout la valeur liquidative des actifs des sociétés. Sans cet important élément, on peut se retrouver avec un titre qui ne fait rien pendant longtemps. Le coût d'opportunité peut donc être élevé, surtout si vous ne manquez pas d'idées pour investir plus judicieusement.
Gencor Industries (GENC-Q) constitue un autre exemple de titre pour lequel nous convoitons ses actifs, mais où l'élément déclencheur est absent. À n'importe quel moment, les dirigeants pourraient libérer la valeur de leurs actifs en déclarant le versement d'un important dividende. Actuellement, malgré l'appréciation récente du titre, il se transige encore à un montant inférieur à ses liquidités. Sans la certitude que la direction entreprendra une action concrète à ce sujet, le titre peut demeurer au même prix pendant longtemps.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com