Aujourd'hui même, un comptable révisait les états financiers d'un client avec celui-ci, et il fut question d'un terrain qu'il possédait dans les Laurentides depuis au moins quinze ans. Il s'agissait d'un endroit non développé : pas de rues, pas d'aqueduc ni d'électricité. Il y a à peine quelques années, la région du Mont Tremblant connaissait un succès retentissant sur le plan du développement. Depuis la crise cependant, le vent aurait tourné. Comme le terrain du propriétaire se situe dans une municipalité pas très loin de là, les chances d'assister à une nouvelle période florissante à moyen terme s'avèrent bien minces.
Au bilan, le coût du terrain s'élevait à un peu plus de 90 000$. Notons que ce montant comprend le coût original du terrain ainsi que l'accumulation de toutes les taxes payées au cours des ans. En effet, comme il ne s'agit pas d'un immeuble à revenus générant des profits, les taxes sont comptabilisées dans les actifs au bilan et non dans l'état des résultats en tant que dépenses, et elles augmentent le coût du terrain au fil du temps.
Selon le propriétaire, il pourrait vendre le terrain pour environ 40 000$ après avoir consulté son courtier en immobilier. Le comptable lui fait donc remarquer qu'il perdrait plus de 50 000$ s'il procédait à sa vente. Après une dizaine de secondes de réflexion, il ajouta qu'il vaudrait mieux attendre que le coin où est situé le terrain se développe.
Raisonner de façon illogique
Voilà un commentaire dénué de sens quand on y réfléchit. Tout d'abord, le client du comptable ne détient pas réellement un terrain qui vaut 90 000$. Certes, ce chiffre est bien écrit sur papier, mais il est surévalué et n'a tout simplement jamais été ajusté à la baisse en fonction de la valeur marchande du bien. Deuxièmement, comment peut-on perdre 50 000$ si on ne les a pas? Lorsque le comptable dit qu'une perte sera encourue à la vente, il sous-entend que la conservation du bien permet d'éviter cette pénible perte. Or, il ne s'agit que d'une illusion.
Les lecteurs qui nous connaissent bien auront reconnu immédiatement le piège de l'ancrage, dont nous avons justement discuté dans un blogue récent (cliquer ici). Le comptable se réfère à une valeur de 90 000$, telle qu'inscrite sur l'état financier. Mais cette valeur ne détient aucun lien avec la valeur actuelle. Autrement dit, la fameuse perte à laquelle il faisait référence s'est déjà produite dans le passé.
Évidemment, si le propriétaire avait payé seulement 30 000$, la réaction aurait été différente à coup sûr. Un commentaire du genre ''étant donné la conjoncture du marché, vous feriez mieux de vendre et de protéger votre gain de 10 000$'' n'aurait pas été surprenant. Or, comme on se retrouve dans une situation de ''perte'', on préfère garder espoir et miser sur un événement peu probable, mais encourageant.
Comme vous pouvez le constater, personne n'est à l'abri de ce genre d'erreur, peu importe les connaissances et le niveau de professionnalisme. Par conséquent, voici un moyen efficace afin de voir la situation autrement.
Regarder du côté des opportunités
Plutôt que de penser en termes de pertes, vaut mieux analyser ce qu'il serait possible d'engendrer comme profits à long terme avec le produit de la vente. Pour ceux qui investissent en Bourse, il suffit de considérer les rendements sur plusieurs années. S'il s'avère possible de générer 15% par an avec les 40 000$ que procureraient le terrain, il suffit de six ans avant de récupérer le fameux 90 000$. À 10 % de rendement, moins de neuf ans seraient nécessaires. Si l'on considère les impôts, un peu plus de temps sera requis, mais l'idée demeure la même : on finit par récupérer le fameux montant qui figurait au bilan.
Pour ceux qui évitent la Bourse, ils peuvent songer au remboursement d'une dette quelconque. Le terrain coûte actuellement quelques centaines de dollars annuellement en taxes. Ne vaudrait-il pas mieux sauver des intérêts sur une dette plutôt que de payer des taxes?
Certes, peut-être que l'endroit où repose le terrain connaîtra enfin un développement urbain. Toutefois, il faut se demander s'il s'agit d'une expectative désespérée afin d'éviter une perte ou d'une réelle probabilité. Dans le premier cas, toutes les options possibles avec le produit de la vente du terrain deviendront des opportunités ratées si l'on s'entête à maintenir un bien non productif à son bilan.
P.S.: À un moment donné, le propriétaire souhaitait tellement éviter de réaliser une perte qu'il émit l'idée de bâtir un chalet sur son terrain, malgré l'absence d'électricité et un accès difficile en voiture. Parfois, un individu préfèrera dépenser davantage plutôt que de réaliser une perte dans ses états financiers!
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com