L'avantage que retire l'investisseur en raflant les actions d'une société sous sa valeur au livre réside dans la possibilité pour la direction de tout liquider les actifs en créant un profit. Cet élément ajoute énormément de marge de sécurité à un investissement. Si les choses tournent mal, on connaît l'existence d'une porte de sortie. Parfois, cette ''porte de sortie'' offre des termes si avantageux qu'on souhaiterait que la direction l'utilise davantage plutôt que de poursuivre les activités de l'entreprise.
Or, on peut se leurrer facilement en surestimant la valeur de liquidation. Prenons le cas d'Aegon (AEG-N), un assureur-vie des Pays-Bas dont environ 70% de ses activités sont basées en Amérique. Dans les derniers états financiers disponibles (30 septembre 2014), on peut difficilement calculer cette valeur de la manière usuelle. Selon le bilan, l'équité totalise 25,7G d'euros, à laquelle on doit retrancher l'intangible de 2,26G. Or, étant donné le peu d'informations fournies par ce bilan, on doit puiser dans l'état du changement de la valeur nette pour déceler les autres éléments à retrancher. On aboutit donc avec un avoir inférieur à 14G d'euros. Une fois la conversion en dollars américains effectuées, on réalise que la valeur boursière n'est inférieure à la valeur au livre que par une faible marge. Mais l'estimé ne doit toutefois pas s'arrêter là...
La solidité des actifs importe
On doit également rester à l'affût de tout indice par rapport à la solidité des actifs. Par exemple, Aegon a tout récemment vendu sa division canadienne d'assurance-vie. Le produit de la vente pâlit en comparaison de la valeur nette qu'elle doit sacrifier au bilan. La société recevra 600M$ canadiens, et on annonce que la perte créée par cette transaction atteindra 1,2G$. Par conséquent, Aegon se défait d'une division pour laquelle on attribuait une valeur de 1,8G$, mais pour un tiers de ce montant seulement.
Cette division n'a engendré que 26M$ de profits lors des douze derniers mois. Sur les 1,8G$ de capitaux, cela ne représente que 1,4% de rendement sur l'équité. Les 600M$ payés par l'acquéreur Wilton Re donne certaines indications quant à la valeur au livre de l'actif. Si Aegon avait été en mesure de simplement les liquider progressivement, elle l'aurait probablement fait. Mieux vaut 1,8G$ sur quelques années que 600M$ immédiatement, surtout lorsque la société peine à dégager un rendement raisonnable sur son équité.
Chez les sociétés d'assurance, il existe une grande latitude de la part de la direction dans l'évaluation des réserves et des frais différés. Bien que l'actif principal soit composé de titres liquides, notamment des obligations, le ratio de levier utilisé rend la valeur nette sensible à toute variation dans les réserves. Chez Aegon, les actifs totaux de près de 400G d'euros représentent un ratio de 29 fois la valeur nette tangible utilisée dans notre calcul. Outre les réserves, on dénote des dépenses différées d'environ 11G d'euros. Ce montant ne semble pas dramatique, lorsque comparé aux 400G d'euros d'actifs. Toutefois, par rapport à la valeur nette, c'est un montant substantiel! Une simple baisse de 11G à 9G se traduirait par une fonte de 15% de l'équité.
La qualité des dirigeants donne un bon indice
Par conséquent, la solidité de la valeur au livre doit être validée par la qualité des dirigeants. Une société dégageant un rendement sur l'avoir de 4% et se transigeant à la moitié de sa valeur au livre constitue l'équivalent d'une société qui se négocie au pair avec la valeur comptable, mais dont le rendement s'élève à 8%. Dans le premier cas, vous pourriez tabler sur la liquidation de l'entreprise comme marge de sécurité. Si, toutefois, la vraie valeur des actifs est deux fois moindre, vous vous retrouvez plutôt avec le deuxième cas. Cela signifie que la liquidation des actifs ne ferait plus partie d'un scénario envisageable.
Finalement, notons que le premier cas ne vaut guère mieux que le deuxième si la direction s'entête à continuer à générer de pauvres rendements et à ne jamais liquider les actifs moins rentables afin de mieux performer dans le futur! Pour l'actionnaire, se retrouver en face d'un trésor est une chose. Pouvoir s'en emparer en est une autre.
Pour Aegon, vous aurez probablement deviné nos doutes à l'égard des talents de la direction en matière d'allocation du capital, que l'on peut tenter de juger en lisant les communiqués. Nous préférons de loin le genre de communication que nous offre les dirigeants de ACE Limited ou XL Group, pour ne nommer que deux exemples.
P.S.: Dans le domaine des ressources naturelles, incluant le pétrole, restez particulièrement vigilant quant à la valeur comptable au bilan ainsi que des réserves. Elles peuvent fondre comme neige au soleil lorsque le prix des ressources dégringole.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com