Le texte qui suit est signé par Louis-Philippe Maurice, pdg de Busbud, une start-up montréalaise comptant 25 employés.
S'il y a un message qui fait la quasi-unanimité au Québec présentement, tant chez les politiciens que dans la communauté d'affaires, c'est que le Québec a besoin de plus d'entrepreneurs.
Lucien Bouchard affirmait récemment que le Québec a besoin de plus de jeunes entrepreneurs pour assurer sa prospérité future. Michel Patry, directeur de HÉC Montréal, parle d'un déficit entrepreneurial à combler dans les prochaines années.
Les données présentées par la Fondation de l'Entrepreneurship montrent que l'intention de démarrage est plus bas au Québec qu'ailleurs au Canada. La Table d'Action de l'Entrepreneuriat, présidée par Éric Fournier de Moment Factory, vise à augmenter de 10 000 le nombre d’entrepreneurs dans la région de Montréal d’ici 2020.
Oui, le Québec a besoin de plus d'entrepreneurs, notamment dans le domaine des technologies Web et mobiles. Ceci dit, l’augmentation du nombre d’entrepreneurs ne sera pas suffisante pour assurer la prospérité économique du Québec. Pour bâtir grand, ça prend du talent technique.
Il nous faut encourager davantage le développement du talent technique capable de réaliser la vision de nos entrepreneurs. En effet, les employés numéros 1, 2 et 3 ne sont rien sans les 100, 1 000 ou 10 000 employés qui se joindront à l'équipe de fondateurs pour assurer la croissance de l'entreprise.
Des bâtisseurs pour soutenir les bâtisseurs
Bien que l'étincelle Google soit née de la vision exceptionnelle de ses fondateurs, une grande partie du succès de l’entreprise est attribuable à sa capacité de recruter une grande quantité de talent de haut calibre. Après environ quinze ans d’activité, Google compte plus de 47 000 employés. Selon diverses estimations, entre 15 000 et 20 000 de ceux-ci seraient des développeurs Web. Ses compétiteurs Microsoft et Amazon comptent maintenant aussi chacun plus de 100 000 employés.
Si Sergei Brin et Larry Page avaient obtenu un diplôme de la faculté de génie informatique de McGill ou de la Polytechnique de Montréal plutôt qu’à l’université Stanford, en Californie, auraient-ils su trouver au Québec les prochains 10,000 ingénieurs et employés spécialisés de calibre mondial nécessaires à la croissance de leur entreprise?
Je pose donc la question: et si la ressource rare dans notre écosystème entrepreneurial florissant n'était présentement ni le capital de risque, ni la quantité de projets intéressants, ni même la quantité d'entrepreneurs, mais bien plutôt le talent technique capable de transformer les idées en réalité?
Développer notre bassin de talent
Les jeunes entreprises ont un grand besoin de talent technique pour assurer leur croissance, mais elles ne sont pas les seules. À l'ère du virage technologique et de la mondialisation, les moyennes et grandes entreprises de tous les secteurs s’arrachent le talent technique.
Pour les entreprises en démarrage, le talent technique recherché est surtout composé d'ingénieurs, de développeurs Web, de programmeurs, de designers, de développeurs d'applications mobiles, d'administrateurs de base de données et de spécialistes du marketing en ligne.
Ce talent technique intervient dans plusieurs fonctions dans les entreprises en démarrage. D'abord, il y a les ingénieurs et développeurs qui deviennent des fondateurs ou co-fondateurs et, ce faisant, plongent tête première dans l'aventure entrepreneuriale.
Ensuite, il y a les ingénieurs de grand talent qui joignent les rangs de start-ups peu après leur fondation. Ces derniers jouent des rôles clés en réalisant des contributions majeures au produit et en agissant comment mentors auprès du reste de leur équipe technique.
Finalement, il y a les ingénieurs et développeurs qui aident à bâtir l'écosystème propice pour le développement de talent technique. En plus de leur travail, ces développeurs organisent des événements communautaires tels que Montréal Python, Cocoa Heads ou Confoo et passent du temps à aider les membres de notre communauté à se développer.
S’il est difficile, en l’absence d’une étude spécifique sur le sujet, de se faire une idée précise de la taille de ce bassin, force est de constater que nous sommes bien loin d’un scénario d’abondance. L’Ordre des ingénieurs du Québec compte environ 68 000 membres (toutes spécialités de génie confondues), avec 2 700 nouvelles inscriptions provenant de jeunes diplômés l’an dernier. De son côté, Service Canada estime à 87 800 le nombre des « professionnels de l’informatique », ce qui représente environ 2,25 % des travailleurs québécois.
Les bons développeurs sont rares et la compétition pour le talent est féroce. Plusieurs dirigeants d’entreprises en démarrage m'ont confié dans la dernière année avoir de la difficulté à trouver des développeurs ou du talent technique de pointe en quantité suffisante pour faire croître leur entreprise à la vitesse souhaitée.
Récemment, certains de ces entrepreneurs ont décidé de déménager leurs opérations ou d’ouvrir des bureaux satellites à l'extérieur du Québec, non seulement pour se rapprocher des investisseurs, mais aussi parce qu’ils estiment que le bassin de talent de pointe est plus vaste à Toronto, Boston, New York ou San Francisco.
Ébauche d’un plan d’attaque
La communauté des start-ups québécoise est bien au fait de la situation et différents acteurs qui la composent collaborent présentement pour y remédier.
Mais il y a lieu de se doter d’un véritable plan d’attaque concerté, mobilisant les milieux politiques, commerciaux et institutionnels. Si ce texte semble vouloir prendre la forme d’un manifeste, c’est bien volontaire. Mon objectif est de nous inviter à une réflexion collective sur un sujet d’une importance primordiale pour l’avenir économique du Québec.
Voici quelques pistes pour partir le bal :
1. Collaborer avec les universités
À moins d’avoir développé leurs compétences par eux-mêmes entre deux cours, les jeunes ingénieurs nouvellement diplômés ont souvent besoin d'une mise à niveau ou de mentorat avant de pouvoir faire des contributions majeures dans des entreprises en démarrage. Nous devons redoubler d’effort pour former des travailleurs qualifiés pouvant rapidement créer de la valeur pour les entreprises qui les embaucheront.
Par exemple : offrir plus de cours de niveau universitaire sur les langues modernes de programmation tels Python, Ruby ou Javascript pour le Web et Objective C et Java pour le développement d’applications mobiles; continuer à investir dans la qualité du corps professoral en attirant les meilleurs professeurs au monde; soutenir les programmes de formation menant à des diplômes techniques; appuyer les initiatives étudiantes comme le McHacks (le plus grand hackaton universitaire dans l'histoire du Canada récemment organisé par un groupe d'étudiants très dynamique de McGill); collaborer plus étroitement avec les bureaux de placement pour trouver des stages aux étudiants dans des entreprises en démarrage; et, plus que tout, encourager les jeunes du secondaire à entreprendre des études universitaires en génie et en sciences.
2. Orienter le talent vers les entreprises en croissance
Au Québec, une grande proportion du talent technique est à l'emploi de grandes entreprises ou de multinationales, attiré par le prestige du nom et la stabilité qu’elles peuvent représenter. Les entreprises en démarrage offrent cependant des milieux de travail dynamiques et de plus en plus concurrentiels, qui gagnent à être mis de l’avant.
Le contexte entrepreneurial offre une vitesse d’apprentissage décuplée et un fort potentiel de développement de carrière. En termes de compensation, beaucoup de PME ont maintenant les moyens d'offrir des salaires de l'ordre de 50-100K ou plus aux jeunes développeurs de talent, notamment en s'appuyant sur des crédits d'impôt de recherche et développement ou pour le commerce électronique.
Les start-ups se doivent d’élever la voix et de s’afficher comme des employeurs attrayants. Certains événements nouvellement mis sur pied, tels MTL Startup Talent ou les Portes Ouvertes Startup Montréal, aident le talent à découvrir et à connecter avec de jeunes entreprises en croissance. Mais ce n’est pas suffisant. Les start-ups sont encore trop souvent sous-représentées dans les foires d'emplois sur les campus. Le Founder Project ainsi que le McGill Startup Career Fair, organisé par le McGill Entrepreneurs Society, sont d’excellentes initiatives qui pourraient servir de modèles à de nouveaux projets et programmes structurants. Les firmes de capital de risque doivent aussi jouer un rôle plus grand pour aider à attirer le meilleur talent pour les entreprises dans leur portfolio d’investissement.
3. Attirer du talent de l'extérieur du Québec
Dans la Silicon Valley, où l’on retrouve pourtant l’un des plus denses bassins de talent technique au monde, on légifère présentement pour augmenter la limite de visas pour attirer du talent technique additionnel de partout au monde, notamment en provenance de l'Inde et de l'Europe de l'Est. Le Québec doit faire de même.
Depuis 2013, le programme innovateur Startup Visa Canada vise à faciliter l'importation d'entrepreneurs et d'ingénieurs étrangers. Nous devons être fiers de cette initiative, qui a d'ailleurs fait rougir d'envie quelques-uns de nos voisins du Sud. Cependant, en matière de mobilité de talent et de visas de travail, les barrières sont encore trop grandes et les restrictions trop nombreuses – notamment avec les États-Unis, pourtant notre principal partenaire commercial.
Finalement, on estime à plus de 350 000 le nombre de Canadiens présentement à l’emploi d’entreprises dans la Silicon Valley. Assumant qu’il y a une même proportion de Québécois parmi ces Canadiens travaillant dans la Silicon Valley que dans la population totale du Canada, on peut estimer qu’environ 23% ou 80 000 d’entre eux sont Québécois. Il y a lieu de se demander s’il ne serait pas temps rapatrier au Québec certains de nos talents en les invitant à jouer un rôle dans nos entreprises locales les plus prometteuses.
L’organisation d’événements de haute qualité peut aussi aider à attirer ce talent à Montréal. Par exemple, la conférence Pycon 2014, qui s’est déroulée au début du mois d’avril, a attiré à Montréal plus de 2,000 participants provenant de partout dans le monde, incluant les meilleurs experts de cette communauté technique.
Les prochains 10,000
Comme nous le rappelait Lucien Bouchard dans son récent article, il faut continuer à célébrer les réalisations des entrepreneurs visionnaires du Québec, tels Joseph-Armand Bombardier. Ceci dit, n'oublions pas de célébrer les dizaines de milliers d'ingénieurs qui se sont joints à lui et qui ont fait le pari de faire croître Bombardier.
Sans un vaste bassin de talent technique, les idées de nos entrepreneurs québécois ne resteront que des idées. Et notre vision d'un Québec prospère ne restera que cela : une vision.
À propos de Louis-Philippe Maurice
LP Maurice est le président et co-fondateur de Busbud, une entreprise de commerce électronique basée à Montréal spécialisée dans le voyage interurbain en autobus. Sur Twitter: @lpmo