Le texte qui suit est signé par Florent Vilmart, directeurs des TI et co-fondateur de la start-up I Can Go Without.
A l’heure du Big Data, nos métropoles embrassent le mouvement à pleins bras, investissant massivement dans la collection de données et l’ouverture de ces dernières au public.
Récemment, la ville de Montréal a fait un investissement massif de 6,8 millions de dollars dans de l'équipement de collecte de données (GPS, infrastructure…) pour suivre à la trace ses camions de déneigement, ainsi que pour ouvrir les données ainsi recueillies par l’entremise d’une API sécurisée.
Alors que nous vivons près de six mois par année entourés de cette fée blanche, ces investissements ont, semble-t-il, un bien-fondé et reposent sans doute sur une volonté profonde de rendre cette trêve hivernale moins contraignante pour les piétons, poussettes, cyclistes et automobilistes.
Tout partait d’un bon sentiment quand nos pouvoirs publics, en consultation citoyenne, décidèrent de mettre à profit la créativité collective, ainsi que la force technologique de la ville au travers du défi Info-Neige. Malheureusement, pour une initiative reposant sur les données ouvertes, les règlements mis en place semblent mettre cette force créative au profit seul de la ville. Ceci, assorti de contraintes budgétaires et temporelles majeures, met à mal la qualité ainsi que la pérennité des solutions proposées.
Défis et pourquoi on se méfie
Avec un budget total d’environ 30 000 $, notre mairie espère réitérer les initiatives citoyennes de New York, Boston ou encore Vancouver; des villes ayant su stimuler la créativité locale afin d’offrir un service d’utilité publique là où nos fonctionnaires montrent leurs faiblesses à répondre aux réels problèmes de leurs concitoyens. Par exemple, comme le montre ce document présenté à la mairie Vancouver, la ville se place en catalyste et non en donneur d’ordres.
Ce qui a été présenté à Vancouver, et a été compris, est que le facteur clé de succès de ces initiatives est dans la réponse des citoyens. Cette réponse est stimulée non pas par un prix ou une récompense pécuniaire, mais par la liberté offerte par les institutions de régler un problème qui touche tout individu usager des infrastructures municipales. Le rôle de l’institution est alors de laisser libre court à la création. Si les problèmes sont réels, il n’est pas nécessaire de surencadrer la résolution, mais crucial de stimuler et inspirer ces envies de changement.
En beaucoup de points, le crowdsourcing se rapproche de la philosophie qui stimule et active les communautés Open Source depuis les débuts du Web. Nous autres, ingénieurs logiciel, construisons des briques de logiciel hautement réutilisable, pour ensuite les partager au monde afin qu’aucun autre confrère ne subisse les mêmes peines et affronts. La frontière entre intelligence, propriété intellectuelle, avantage compétitif et partage peut sembler très brouillée, difficile à saisir pour les non-initiés. Le principe de base reste le partage de la connaissance, dans les deux cas, pas le transfert d’une entité à l’autre.
La ville semble vouloir SON application, au sens possessif. Rien n’indique qu’elle entend stimuler le talent local au travers de cette opération, mais plus en faire l’acquisition à moindre coût. Cette attitude est irrespectueuse de nos talents, ces talents et expertises que nous nourrissons jour après jour, dans notre travail et notre engagement local, ne sont pas offerts au rabais.
Notre expertise nous dicte de toujours rechercher et développer les solutions les plus adaptées au besoin du client, tout en respectant ses contraintes. Si les budgets proposés ne permettent pas d’obtenir un résultat digne de nos compétences, il est également de notre devoir d’en alerter le client, modifier le projet ou le refuser. Nous forcer à travailler sous de telles contraintes, c’est remettre en cause cette expertise.
Quelles options pour les créatifs?
All-In!
Une agence ou un groupe d’amis souhaitant remporter le challenge adopterait surement cette stratégie. En revanche, attention aux dépenses! Il serait étonnant que tous les frais soient amortis! Pour un employeur, une heure de travail d’un talentueux UX, designer ou ingénieur logiciel peut couter 60 $. Aussi, affecter trois professionnels à temps plein durant six semaines signifie investir 720 heures, soit plus de 40 000 $, pour faire un pitch. C’est un parfait exemple d’expertise bradée.
Prudence est mère de la sureté
Les talents sans travail sont rares et le temps que l’on peut passer à s’amuser sur de telles problématiques est précieux! Une autre équipe préparera surement une présentation et un prototype au quart fonctionnel, en travaillant quelques week-ends et fins de journées. En minimisant son investissement préliminaire, on réduit d’autant ses chances de sortir du lot. Cette stratégie sera surement adoptée par le plus grand nombre, mais ces coupes créatives se ressentiront d’une façon ou d’une autre dans les pitchs ou la production finale.
Et la ville dans tout çà?
Quelle que soit la stratégie adoptée, les codes sources et produits intermédiaires du prototype seront sur le GitHub de la ville, disponibles pour toute utilisation ultérieure. Que vous gagnez ou perdez, oubliez vos idées et vos solutions, elles sont désormais utilisables librement par la ville.
Dans aucun hackaton, on ne verra l’organisateur justifier ou demander la propriété intellectuelle des développements, idées ou prototypes. Ces hackatons, organisés par la communauté et pour la communauté, ont justement pour but de stimuler cet intellect en dehors des bureaux. Les hackers s’y rendent avec plaisir, pour le challenge personnel, les rencontres, l’apprentissage ou encore la simple opportunité de créer en équipe. Si une idée brillante émerge d’un de ces évènements, la communauté applaudira l’innovation, et encouragera cette équipe a continuer.
En minimisant leur implication et leurs risques, nos décideurs politiques ont, par la même occasion, diminué les chances de pouvoir créer une réelle solution, qui servira les intérêts des citoyens avant les siens.
Une autre option?
Toutes ces données seront ouvertes au public d’ici peu. Il sera dès lors possible de proposer sa propre solution, sa propre application, dûment et intelligemment conçue. Sans le partenariat de la ville, mais surtout sans les contraintes liées au concours. Pourquoi ne pas résoudre le problème ici, autour d’un hackaton organisé par et pour la communauté ?
Détachée de toutes contraintes politiques, la créativité serait libre d’évoluer dans ce champ ouvert et complexe, au coeur des enjeux de notre siècle, le traitement et la redistribution de l’intelligence centralisée. Les solutions pourront alors vivre dans l’environnement qui convient le mieux à leurs créateurs. Se distribuer sous forme de paquets open source ou bien au travers d’une start-up qui aurait pour mission de faire usage de ces données afin de transmettre cette intelligence aux citoyens et usagers.
Une ville vraiment intelligente
Collecter et redistribuer les données est un enjeu primordial pour nombre de grandes métropoles. La ville s’est dotée d’une solution de données ouvertes qui contient à ce jour 123 jeux de données. Cette plateforme a été réalisée au travers de contrats avec des compagnies locales. Cette dernière ne devrait pas être prétexte à une main mise sur les projets qui entourent la consommation de ces données. Les données sont libres. Par conséquent, les projets ne doivent pas tomber entre les mains des institutions, mais bien rester entre les mains de citoyens ou de leurs créateurs.
Le but final ne devrait pas être de contrôler et guider l’usage de ces jeux de données, mais plutôt d’inspirer et de récompenser les citoyens et les compagnies engagées. À la façon des Boomerangs, Numix et autres distinctions que les milieux professionnels se partagent, nos représentants élus pourraient être au coeur d’une révolution intelligente et pas seulement les clients d’une autre application.
À l’instar de notre International Startup Festival, qui se déroulera à Montréal cette semaine, ces distinctions pourront quitter nos frontières, attirer d’autres villes, scaler à l’international, devenir une source d’inspiration pour d’autres métropoles. Si la ville peut stimuler son économie, ses entreprises et ses talents, alors il est dans sa mission de le faire.
La politique municipale se place en travers de sa propre mission, servir au mieux les citoyens qui lui font confiance.
Florent Vilmart est directeurs des TI et co-fondateur de I Can Go Without, une entreprise montréalaise spécialisée dans les applications mobiles dédiées aux campagnes de financement. Défenseur des technologies ouvertes, il publie activement sur Github et Twitter.