Le journaliste Steven Levy lancera demain, le 12 avril, In The Plex: How Google Thinks, Works, and Shapes Our Lives. Il s’agit sans contredit du plus exhaustif et du mieux documenté des livres portant sur l’entreprise. Le livre ne manque pas de raconter, de nombreuses sources à l’appui, les débuts légendaires de l’entreprise dans un garage de la Silicon Valley, la transformation de l’entreprise en multinationale et, plus récemment, ses déboires en Chine. Aussi, ce sont les centres de données de Google, beaucoup plus stratégiques et secrets qu’on l’aurait cru, qui ont retenu mon attention.
La question des centres de données est d’autant plus d’actualité que Facebook, le plus redoutable rival de Google en matière de publicité sur Internet, a lancé le 7 avril dernier une initiative visant à partager ses propres technologies en matière de centre de données. Selon Business Insider, la décision de Facebook aurait d’ailleurs pour objectif caché d’établir Facebook comme une entreprise de haute technologie et, ainsi, de détrôner Google comme employeur de choix pour les meilleurs ingénieurs.
Les secrets de Google
En 2004, alors que Google prépare minutieusement son appel à l’épargne publique, elle ne veut révéler aucun indice sur ses revenus, qu’on pourrait évaluer grossièrement si on pouvait déterminer le nombre de serveurs qu’elle utilisait. Aussi, c’est sous le couvert d’une compagnie-écran, Design LLC, que l’employé de Google Chris Sacca sillonne alors les États-Unis à la recherche de grands espaces à proximité d’un cours d’eau, de câbles haute tension et de fibres optiques.
Malgré les difficultés qu’il rencontre dans ses recherches à titre de représentant d’une compagnie anonyme qui souhaite construire un bâtiment industriel qui consommera autant d’électricité qu’un village, Chris Sacca trouve finalement ce qu’il cherche. L’emplacement idéal se trouve à The Dalles, une petite ville située dans l’État d’Oregon qui doit son nom francophone aux employés canadiens-français de la compagnie du Nord Ouest, qui transitaient par ce lieu au début du 19e siècle.
Le centre de données de The Dalles a été inauguré en 2006, mais les journalistes et les politiciens locaux n’ont pu pénétrer dans la salle de 200 000 pieds carrés qui abrite les serveurs, devant se rabattre sur la cafétéria. L’auteur Steven Levy estime néanmoins que le bâtiment abrite plus de 100 000 serveurs disposés dans des conteneurs. Google a depuis lors bâtit plusieurs dizaines de centres de données similaires un peu partout dans le monde, dont certains ont été annoncés officiellement… et d’autres, non.
Quand la quantité est préférable à la qualité
L’une des forces de Google est sa grande capacité d’innovation. Aussi, ses deux cofondateurs Sergey Brin et Larry Page se sont toujours préoccupés de leurs serveurs. D’abord, parce qu’il s’agissait du plus important poste de dépense lorsque l’entreprise était en démarrage. Ensuite, parce que les serveurs sont un facteur important dans la vitesse d’exécution de leur moteur de recherche. D’ailleurs, Steven Levy révèle dans son livre que Larry Page, l'actuel PDG de Google, est obsédé par la vitesse et qu’il peut même percevoir une unité de temps aussi courte qu’un dixième de seconde (100 millisecondes).
L’auteur relate également que Google a étudié des hypothèses pour le moins originales, telle que de construire un centre de données dans le cercle arctique ou encore en Islande pour produire de l’électricité grâce aux sources géothermales du pays. Du reste, si les emplacements finalement choisis par Google n’ont rien d’extraordinaire, sa stratégie en matière de serveurs l’est davantage.
Les serveurs produisant beaucoup de chaleur, le refroidissement compte pour une part importante des frais d’exploitation d’un centre de données. Aussi, alors qu’un centre de données est en général maintenu à environ 20 °C, Google laisse la température monter jusqu’à 27 °C dans ses centres, quitte à ce que le taux de bris de ses serveurs augmente un peu.
Google n’a jamais considéré ses serveurs comme une ressource précieuse et a toujours opté pour les composantes les moins chères. Du reste, la solution logicielle de Google permet à ses ingénieurs de considérer chacun de ses centres de données comme un ordinateur immensément grand, et le bris de serveurs n’a aucun impact sur ceux-ci. Régulièrement, des techniciens remplacent les serveurs brisés, mais Google pourrait en perdre des centaines de milliers sans que ses services soient affectés gravement.
Quand on considère que chaque minute, 35 heures de vidéos sont téléversées sur YouTube, et que la taille d’Internet, que Google enregistre littéralement sur ses serveurs, double tous les cinq ans, on conçoit pourquoi le géant de Mountain View a un si grand intérêt pour les centres de données. Et qu’il en construit davantage qu’il n’en a besoin pour l’instant.
Steven Levy, In The Plex: How Google Thinks, Works, and Shapes Our Lives, New York, Simon & Schuster, 12 avril 2011, 424 p.