Alors que le temps des fêtes bat son plein, les chauffeurs de taxi montréalais font pour la première fois face à la concurrence d’UberX. Lancé à Montréal le 29 octobre dernier, le service permet aux Montréalais de retenir les services d’un chauffeur dénué de permis de taxi à partir de l'application mobile d'Uber. En un sens, le service est similaire à celui offert depuis des années par l’Opération Nez rouge, à la différence près que les chauffeurs d’UberX ne sont pas bénévoles et qu’ils continueront à faire le taxi lorsque les sapins de Noël seront sur le bord du chemin.
Pour le consommateur, le bénéfice d’UberX est évident. En utilisant le service, le consommateur peut réaliser une économie d’environ 17% (sans tenir compte du pourboire), selon un calcul sommaire que j’ai effectué, lequel est basé sur une seule course. Le pourcentage d’économie peut varier d’une course à l’autre, puisque la méthode de calcul d’UberX diffère de celle en vigueur à Montréal.
Pour ceux que ça intéresse, UberX charge un prix de base de 2,75, un frais de sûreté de 1 $, de même que 0,40 $ par minutes de trajet et 0,90 $ par kilomètre. Du côté des taxis, on parle d’un prix de base de 3,45 $, de 1,70 $ par kilomètres et de 0,63 $ par minute d’attente (donc, on ne paie pas ce frais lorsque le taxi est en mouvement).
Au-delà du consommateur, la société entière y gagne elle aussi à plusieurs égards. D’une part, la baisse des tarifs de transport individuel devrait rendre la possession d’une voiture moins attrayante dans une ville comme Montréal. D’autre part, l’utilisation de voitures existantes pour effectuer des courses de taxi devrait aussi contribuer (à plus long terme) à diminuer la taille du parc automobile montréalais.
Même si je suis un utilisateur relativement assidu d’Uber et de taxis en général, je dois avouer avoir commandé un UberX pour la première fois dimanche dernier. Je l’ai fait parce que le temps d’attente pour un UberX était, pour la première fois dans mon cas, le même que pour un Uber tout court (un taxi). Or, lorsque je prends le taxi, c’est généralement parce que je suis pressé et attendre 10 minutes de plus est rarement une option. Si c’en était une, je prendrais le métro.
Le chauffeur qui m’a été attribué m’a confié avoir un autre emploi et ne faire que quelques heures par semaine d’UberX, de manière à meubler son temps entre ses rendez-vous. Il ne connaissait toutefois pas les rues de Montréal comme un chauffeur de taxi, mais le GPS de son téléphone comblait cette lacune. C’est peut-être même un avantage, puisque plusieurs chauffeurs de taxi utilisent leur connaissance de la ville pour emprunter des chemins plus longs.
UberX : Un service dangereux ?
Il va sans dire que de nombreux chauffeurs de taxi, incluant ceux qui travaillent avec Uber, n’ont pas en grande estime UberX. La plupart de ceux avec qui j’ai discuté d’UberX m’ont fait valoir que les UberX n’étaient pas aussi propres que les taxis traditionnels (c’est vrai) et, surtout, qu’ils n’étaient pas assurés, comme sont tenus de l’être les chauffeurs de taxi. Dans les faits, toutefois, Uber offre une assurance de cinq millions à tous ses chauffeurs UberX, alors que les chauffeurs de taxi montréalais ne sont tenus que de souscrire à une police d’un million de dollars.
Ils invoquent également l’argument de la sécurité, mais la preuve reste à faire que les chauffeurs d’UberX sont plus dangereux que les chauffeurs de taxi. Alors qu’on commence à peine à vérifier les antécédents judiciaires avant d’attribuer un permis à Montréal, Uber a depuis les débuts d'UberX pour politique de procéder à cette vérification.
Pour obtenir un permis de taxi à Montréal, il suffit d’avoir un dossier criminel vierge au courant des cinq dernières années, tandis qu’UberX exclut notamment les chauffeurs s’étant rendus coupables d’agressions sexuelles, peu importe le temps écoulé depuis le crime. Finalement, un chauffeur UberX qui attaquerait son passager serait immédiatement identifié par Uber, tandis qu’un chauffeur de taxi traditionnel peut miser sur la confusion de sa victime, qui ne se souviendra pas forcément de son numéro de permis ou de plaque après les faits.
Rentiers ou chauffeurs de taxi?
Les chauffeurs que j’ai interrogés m’ont aussi fait valoir qu’il était injuste que n’importe qui puisse s’improviser chauffeur de taxi, alors qu’eux doivent posséder (ou louer) un permis pour ce faire. Or, à Montréal, le prix d’un permis de taxi s’élèverait à environ 200 000 $, un montant aussi exorbitant qu’injustifié.
L’arrivée d’UberX à Montréal pourrait faire fondre la valeur des permis. C’est donc une mauvaise nouvelle pour les chauffeurs qui possèdent un permis de même que pour ceux qu’on pourrait qualifier de rentiers de l’industrie des taxis : les propriétaires de permis qui les louent à de jeunes chauffeurs qui travaillent de très longues heures pour de revenus de misère. Selon le Bureau du taxi de Montréal, 319 individus posséderaient plus d’un permis de taxi à Montréal, et c’est sans compter ceux qui n’en possèdent qu’un, mais qui préfèrent louer leur taxi (associé à un permis) que de le conduire eux-mêmes.
Ces chauffeurs de taxi qui n’ont pas leur propre permis, qui sont très nombreux à Montréal, n’ont pas tant que ça à perdre de l’essor d’UberX. L’un d’entre eux, qui louait une voiture associée à un permis, m’a dit que si UberX gagnait en popularité, il allait simplement embrasser UberX et utiliser sa propre voiture pour faire des courses.
Même si les tarifs d’UberX sont moins élevés et qu’Uber y prélève une commission, notre chauffeur sans permis n’aurait pas à payer de rentier (ou un autre chauffeur) pour le privilège d’exercer son métier, ni même de compagnie de taxi, qui peut prélever près de 400 $ par mois à ses chauffeurs, sans égards au nombre de courses effectués par ces derniers.
UberX : L’avenue de la légalité
À défaut d’avoir un permis de taxi, les chauffeurs d’UberX sont pour l’instant dans l’illégalité, comme l’a fait valoir le maire de Montréal, Denis Coderre, lors du lancement du service dans la métropole. Malgré tout, il semble que les chauffeurs UberX se soient multipliés depuis lors.
Pour Uber, qui offre UberX dans des conditions similaires dans des dizaines de villes dans le monde, c’est loin d’être une situation intenable. Après tout, les amendes pour transport illégal à Montréal oscillent entre 350 $ et 1050 $ et une source bien informée m’a dit qu’Uber remboursait ses chauffeurs UberX se voyant imposer des amendes.
Malgré tout, le gouvernement du Québec pourrait éventuellement légiférer pour hausser ces amendes et permettre au Bureau du taxi de saisir le véhicule des contrevenants. C’est du moins ce que demande le Bureau du taxi de Montréal. Ce n’est pas impossible que le gouvernement du Québec se laisse influencer par le lobby du taxi. D'ailleurs, deux projets de loi visant respectivement à augmenter les amendes pour transport illégal à 30 000 $ et 100 000 $ ont été présentés en Ontario. La ville de Montréal, pour sa part, pourrait agir en incitant son corps de police à distribuer des amendes aux chauffeurs contrevenants.
Plusieurs chauffeurs n’ont pas d’autre fonds de pension que leur permis de taxi et la montée en popularité de services comme UberX ou Netlift pourrait faire fondre leur valeur. Aussi, il serait préférable d’offrir aux propriétaires de permis une compensation plutôt que de laisser libre cours aux réflexes de luddite du Bureau du taxi de Montréal et de plusieurs de nos politiciens.
On pourrait en débattre, mais il est probable que la prolifération d’UberX fasse diminuer le salaire des chauffeurs de taxi (avec et sans permis) à terme. Or, est-ce foncièrement une mauvaise chose? Après tout, la profession est appelée à disparaître aussi sûrement que celle de tricoteur au 19e siècle, le métier à tisser des chauffeurs de taxi étant déjà une réalité. Aussi, il serait regrettable qu’elle attire des individus souhaitant y faire carrière. Comme cuisinier dans un McDonald’s, ce poste est plus approprié pour ceux qui ont besoin d’un revenu d’appoint ou d’un emploi étudiant.