BLOGUE. La semaine dernière, Mark Zuckerberg a embauché le professeur Yann LeCun, de l’Université de New York, pour diriger un nouveau groupe de recherche en intelligence artificielle. Le pdg de Facebook en a fait l’annonce durant l’atelier portant sur l’apprentissage profond (Deep Learning), organisé par Yoshua Bengio, dans le cadre du congrès NIPS 2013, qui se déroulait alors à Lake Tahoe, au Nevada.
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J’ai eu l’occasion d’interviewer Yoshua Bengio, qui dirige l’un des plus importants laboratoires en intelligence artificielle dans le monde, dans son bureau de l’Université de Montréal. Avec les professeurs Yann LeCun et Geoffrey Hinton (récemment recruté par Google), ce dernier est l’un des pionniers de l’apprentissage profond, une approche qui s’inspire du cerveau afin de concevoir des logiciels capables d’apprendre d’eux-mêmes. Yoshua Bengio, qui collabore pour sa part avec Ubisoft, a accepté de m’expliquer pourquoi l’apprentissage profond était d’une importance stratégique pour les Facebook et Google de ce monde.
À quoi sert l’apprentissage profond
Dans les faits, l’apprentissage profond permet de concevoir des logiciels capables d’effectuer des tâches dans lesquelles les humains tendent à performer mieux que les ordinateurs, de la reconnaissance vocale à la traduction. « Ça permet à l’ordinateur de faire des tâches pour lesquelles on n’est pas capable de le programmer, [que l’ordinateur apprendra à faire] en se basant sur une grande quantité d’exemples. »
L’approche, qui s’inspire des réseaux neuronaux artificiels en vogue dans les années 1980, s’est peu à peu imposée dans les années 2000. L’amélioration des technologies de reconnaissance de la parole, indissociable des assistants virtuels comme Google Now et Siri, y serait attribuable : « Le Deep Learning [l’apprentissage profond], c’est ça qui a fait décoller l’intérêt pour l’intelligence artificielle dans les dernières années, parce qu’il y a eu des percées importantes dans de nombreux domaines. »
L’apprentissage profond permet aussi d’améliorer la reconnaissance de formes dans les images et les vidéos, de sorte qu’on peut imaginer que Google a recours à l’apprentissage profond afin d’effacer les contenus adultes sur YouTube. La reconnaissance de sentiments affichés par le visage humain, qui a fait l’objet de percées récemment, fait aussi partie des applications de l’apprentissage profond.
Pour Google et Facebook, la maitrise de cette technologie sera de plus en plus importante, puisqu’elle leur permettra de mieux comprendre les contenus qu’ils indexent : « Plus ça va aller, plus on va combiner différentes sources d’information comme du texte, des images et des vidéos, de sorte que les machines puissent avoir une compréhension plus générale de comment notre monde fonctionne », soutient Yoshua Bengio.
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Mark Zuckerberg et l’intelligence artificielle
La création d’un groupe de recherche en intelligence artificielle par Facebook est significative. Avec une sommité comme Yann LeCun à sa tête et des bureaux à Menlo Park, New York et Londres, l'initiative permet à Facebook d’entrer par la grande porte dans la ligue d’IBM et de Google dans ce domaine. L’annonce devrait aussi susciter un intérêt accru pour les chercheurs en intelligence artificielle, qui n’ont jamais été aussi populaires auprès des grandes entreprises : « Ce qui se passe avec Facebook et Google fait en sorte que la demande est intense. Les étudiants qui sortent des labos comme le mien se font offrir des salaires plus élevés que le mien, qui est un très bon salaire quand même. »
Selon Yoshua Bengio, la nouvelle expertise de Facebook en matière d’apprentissage profond permettra à l’entreprise de mieux comprendre ses utilisateurs : « Sur Facebook, on publie de grandes quantités de textes, d’images et de vidéos; pour choisir ce qui va apparaître dans votre fil de nouvelles, Facebook doit analyser ce contenu d’un point de vue sémantique, pour déterminer lesquels ont le plus de chance de correspondre à vos intérêts. » Il va sans dire que ce discernement automatisé pourrait aussi être appliqué à la publicité, et ainsi, se transformer en clics et en revenus.
Malgré cet intérêt à court terme, Mark Zuckerberg aurait un intérêt personnel pour l’apprentissage profond et l’intelligence artificielle en général. Le pdg de Facebook a d’ailleurs participé, avec son directeur des TI Michael Schroepfer, à l’atelier de la semaine dernière organisé par Yoshua Bengio : « Il cherchait à apprendre plus sur ce domaine, à côtoyer des chercheurs et à comprendre mieux ce qu’ils font », explique le professeur.
Durant l’événement, le pdg de Facebook a expliqué que les chercheurs à son emploi continueront à faire de la recherche fondamentale: « Ce que Mark Zuckerberg a dit, c’est qu’il a l’intention de permettre à ses chercheurs de publier facilement », explique Yoshua Bengio.
S’il y a encore des inconnues par rapport aux ambitions à long terme de Facebook en matière d’intelligence artificielle, Mark Zuckerberg semble avoir fait bonne impression auprès de la communauté universitaire : « J’ai été surpris, étant donné le travail qu’il fait au quotidien, de sa capacité à comprendre des concepts et à poser les bonnes questions, relate le professeur de l’Université de Montréal. Je pense que son intérêt est sincère, et qu’il a mis du temps pour bien comprendre ce domaine-là. »