Si jamais votre vie est entre les mains d'un chirurgien, il y a de bonnes chances que ces mains soient celles d'un robot. Si les robots ont leur place dans le bloc opératoire depuis plusieurs années, ils n'avaient jusqu'à présent pas connu autant de succès qu'ils auraient pu, en raison de leurs coûts prohibitifs. C'est toutefois en train de changer. Des robots coûtant une fraction du prix de ceux qui sont sur le marché aujourd'hui devraient être lancés dès 2016, tandis que des technologies de nanorobotique pourraient elles aussi s'imposer d'ici quelques années.
«À mon avis, on va se retrouver avec quatre ou cinq fabricants de robots chirurgicaux, les prix vont diminuer et la compétition va accélérer le rythme de l'innovation», prédit Michel Gagner, un chirurgien montréalais ayant participé aux essais précliniques de l'un de ces robots, qui se sont terminés en avril dernier. Il a ainsi opéré des animaux avec le SurgiBot, un robot chirurgien développé par l'américaine TransEnterix. Le robot devrait être commercialisé en 2016, après avoir été testé sur des humains.
«Je suis très enthousiaste à l'idée qu'il y aura un deuxième robot sur le marché en 2016 pour effectuer des chirurgies», soutient Michel Gagner. Selon lui, le prix plus abordable du robot devrait permettre à de nombreux hôpitaux, qui n'en avaient pas les moyens, de se mettre à la chirurgie robotique.
De fait, le SurgiBot devrait coûter environ 500 000 $ US, alors que le da Vinci, d'Intuitive Surgical, qui domine le marché présentement, coûterait quelque 2 millions de dollars américains. Le SurgiBot devrait ainsi coûter moins cher, mais la variété d'opérations qu'il permet de réaliser est plus restreinte, le robot étant réservé aux opérations au niveau de l'abdomen. Todd M. Pope, pdg de TransEnterix, prévoit que le prix de la technologie ne fait que commencer à chuter : «Notre objectif, c'est de continuer à faire diminuer le coût et la taille de notre robot comme le font les fabricants de téléphones intelligents», déclare-t-il.
TransEnterix n'est pas le seul fabricant à avoir l'ambition de percer ce marché d'avenir. Entre autres nouveaux venus, figure la société ontarienne Titan Medical, qui prévoit commercialiser son robot, baptisé Sport, à l'extérieur des États-Unis au quatrième trimestre de 2016. «Il y a une fenêtre d'opportunités pour de nouveaux joueurs, car le da Vinci est très cher, et plusieurs de ses brevets sont sur le point d'expirer», explique Rajni Patel, professeur spécialisé en robotique médicale à l'Université de Western Ontario.
Les robots chirurgiens comme le da Vinci, le SurgiBot et le Sport ont été conçus pour réaliser des chirurgies sans ouvrir le corps du patient. Par conséquent, ceux-ci passent moins de temps en convalescence à l'hôpital, ce qui réduit ainsi le coût total de la chirurgie tout en minimisant les séquelles pour le patient.
Les prochaines frontières
Le Dr Michel Gagner n'en est pas à ses premiers contacts avec la chirurgie robotique. Le 7 septembre 2001, il faisait partie de l'équipe de chirurgiens ayant opéré depuis New York une patiente à Strasbourg, en France, par l'intermédiaire d'une connexion à haut débit et d'un robot chirurgien. Baptisé opération Lindbergh, l'exploit avait été ultramédiatisé et paraissait annonciateur d'un bel avenir pour la téléchirurgie.
À l'époque, l'avenir de la chirurgie robotique semblait radieux, et Michel Gagner pensait que la technologie était appelée à continuer sur sa lancée. Il en reste convaincu, même si cet avenir est plus lent à se concrétiser. «La téléchirurgie pourrait être utile pour opérer à distance dans des stations arctiques au Canada, sur des bateaux ou même dans l'espace», explique Michel Gagner.
Or, quelques jours après l'exploit médical, survenaient les attentats du 11 septembre à New York, qui n'ont pas manqué d'affecter l'économie. En 2003, le marché de robotique chirurgicale s'est consolidé lorsque Intuitive a mis la main sur son concurrent Computer Motion, dont le robot, ambitieusement baptisé ZEUS, avait servi à réaliser l'opération Lindbergh.
Avec l'arrivée prochaine de nouveaux acteurs, Michel Gagner espère que la chirurgie poursuivra son évolution plus rapidement. «Je pense qu'on pourra un jour avoir des robots qui opéreront eux-mêmes, estime le chirurgien. Mais c'est quand même le chirurgien qui décidera comment la chirurgie aura lieu ; ensuite, il pèsera sur un bouton, puis ce sera fait. L'avantage, c'est qu'un robot peut poser des gestes impossibles pour un humain, et à une vitesse inédite.»
La robotique pourrait du reste conduire les médecins à repenser la nature même de ce qu'est une chirurgie, notamment grâce à la nanorobotique. Même si elle est encore expérimentale, la nanorobotique pourrait transformer fondamentalement la manière dont on traite le cancer, entre autres. Sylvain Martel, un professeur de Polytechnique, a mis au point un procédé en laboratoire qui recoure à des nanomatériaux pour traiter le cancer de manière plus ciblée : «Ce qu'on essaie de faire, c'est de développer des plateformes permettant de transporter des molécules éprouvées pour combattre le cancer là où les cellules cancéreuses se trouvent», résume le professeur.