L’action de Research In Motion a perdu plus de 82% de sa valeur par rapport à son sommet de 2008. Malmenée suite au lancement de la PlayBook, puis du dévoilement de résultats décevants le 16 juin dernier, RIM fait maintenant figure de roi déchu du téléphone intelligent. L’entreprise, qui a longtemps dominé son créneau, est maintenant comparée à Palm, racheté par HP en 2010, qui n’a jamais su se réinventer après avoir dominé le marché des assistants personnels.
L’avenir de RIM, quoique sans doute moins sombre que de nombreux commentateurs le laissent entendre, est réellement menacé. L’entreprise a multiplié les bourdes en matière de relations publiques au courant des derniers mois, les pires étant l’œuvre de ses deux co-PDG, et éprouve de la difficulté à suivre la cadence d’une industrie qui évolue à un rythme effréné. Cependant, un éventuel désaveu des développeurs d’applications pour ses appareils pourrait lui faire encore plus mal.
Les développeurs n'accourent pas au chevet de RIM
Seesmic a annoncé le 20 juin dernier qu’elle cesserait d’assurer du support pour son application éponyme pour BlackBerry. L’éditeur de la populaire application, qui permet gérer sa présence sur les médias sociaux, expliquait sa décision par le fait qu’elle souhaitait consacrer ses énergies au développement de son application sur les plateformes les plus populaires. Sans surprise, l’entreprise a mentionné iOS et Android, mais la présence à leur côté de Windows Phone 7 a de quoi étonner, puisque le système d’exploitation mobile de Microsoft rejoint moins d’utilisateurs que les BlackBerry.
L’écosystème d’applications compatibles est un facteur central dans l’adoption d’une plateforme mobile par les consommateurs. Avec une librairie de respectivement 200 000 et 425 000 applications, il va sans dire qu’iOS et Android ont déjà gagné leur place au soleil. Dès qu’une application connaît du succès sur l’une ou l’autre de ces dernières plateformes, ses développeurs l’adaptent à l’autre. De plus en plus, les développeurs s’assurent dès la conception de développer pour les deux. Lorsque vient le temps de développer pour un troisième système d’exploitation mobile, le choix devient moins évident. Avec 32 000 applications compatibles avec les BlackBerry et 2000 avec la Playbook, RIM est loin derrière les deux meneurs. De plus, Windows Phone 7 de Microsoft, qui n’existait pas il y a moins d’un an, bénéficie maintenant d’un écosystème de 20 000 applications et le partenariat Microsoft/Nokia pourrait encore accélérer la croissance de sa boutique d'applications.
Même au Canada, où RIM occupe pas moins de 42 % du marché des téléphones intelligents, les développeurs hésitent à développer des applications compatibles avec les BlackBerry : « Les utilisateurs de BlackBerry naviguent très peu sur Internet et téléchargent très peu d’applications », explique Mathieu Juneau, directeur, conception et intégration, de SKeX Communication, une boîte de marketing mobile de Québec.
Le comportement conservateur des utilisateurs de BlackBerry n’est pas le principal problème de RIM en matière d’applications. Ses outils de développement sont peu estimés par les développeurs, qui estiment qu’il est beaucoup trop long de développer une application BlackBerry : « iOS et Android ont un API beaucoup plus raffiné et beaucoup plus solide, tout particulièrement en ce qui a trait aux interactions tactiles », explique le développeur indépendant montréalais Michael De Wolfe.
Lorsque la plateforme était incontournable, les développeurs prenaient leur mal en patience et s’attelaient à la tâche de développer pour BlackBerry. Aujourd’hui, alors que la presse a déjà enterré RIM, les développeurs ne semblent pas prêts à voler à son secours : « RIM voudrait convaincre les développeurs de créer des applications BlackBerry au même titre qu’ils créent des applications iPhone et Android, mais les efforts et le temps nécessaire pour obtenir un aspect visuel et une interactivité aussi naturelle n’en vaut tout simplement pas la chandelle », soutient Michael De Wolfe.
Les hommes d’affaires ont-ils besoin d’applications ?
Malgré la mauvaise presse, RIM a vendu 13,2 millions d’appareils au courant du dernier trimestre et ses appareils continuent à dominer en entreprise. La raison pour laquelle les analystes font grand cas de la popularité auprès du grand public des appareils de RIM est une tendance en entreprise qui pourrait se traduire par « Apportez votre propre appareil ». En effet, bien que les directeurs des TI continuent à apprécier les outils de gestion de la flotte et de la confidentialité de RIM, les employés font valoir leur préférence technologique et de plus en plus d’entreprises les écoutent.
Malgré tout, la première fonction d’un téléphone corporatif n’est pas de divertir le personnel durant l’heure du diner. Aussi, les applications vendues dans le BlackBerry App World sont souvent moins importantes, du moins pour les employeurs, que celles développées sur mesure pour les entreprises. Bien que difficile à circonscrire de par sa nature, ce créneau serait encore la chasse gardée de RIM : «Dès qu’il est question d’usage corporatif, BlackBerry est une plateforme beaucoup plus complète et pour laquelle il est beaucoup plus facile de développer des applications en tenant compte des questions de sécurité», soutient Raphaël Steinman, vice-président de Soluteo, une entreprise montréalaise qui développe exclusivement des applications d’affaires pour BlackBerry.
Le vice-président de Soluteo, contrairement aux autres développeurs interviewés, n’entretient aucune crainte quant à l’avenir de RIM. Il explique que l’implantation prochaine du système d’exploitation QNX, dont est déjà équipée la PlayBook, sur les BlackBerry offrira de nouvelles possibilités aux développeurs, tout en permettant à l’immense majorité des applications BlackBerry actuelles de demeurer compatibles. Aussi, malgré que certains fabricants de téléphones Android courtisent maintenant les entreprises, il explique ne pas avoir l’intention de développer pour une autre plateforme que celle de BlackBerry : « Nous avons d’excellentes relations avec RIM depuis une dizaine d’années et nous allons continuer avec eux pour les dix prochaines années », conclut Raphaël Steinman.