De passage à Montréal vendredi dernier, John Cruickshank, l’éditeur du Toronto Star, a levé le voile sur son projet inspiré de La Presse+ à l’occasion d’une conférence organisée par le Centre d'études sur les médias. Le quotidien torontois s’apprête en effet à lancer une application iPad en misant sur la plateforme de La Presse+, mais aussi, sur son modèle d’affaires… dont j’avais prédit l’échec dans un précédent billet.
John Cruickshank, qui n’a pas manqué de qualifier LaPresse+ de meilleure application au monde, a alors réitéré que son application iPad sera gratuite et qu’elle sera financée par la publicité. Toutefois, il a tenu à se distinguer de son homologue Guy Crevier, éditeur de La Presse. Contrairement à ce dernier, dont le plan d’affaires repose sur la disparition du papier, John Cruickshank ne veut pas migrer ses lecteurs papier vers la tablette.
Que l’éditeur du Toronto Star ne souhaite pas retirer ses billes du papier est compréhensible. Avec 821 000 lecteurs quotidiens en semaine, le journal torontois peut se targuer d’être le plus lu au Canada. Ce statut n’empêche pas Torstar, la société mère du quotidien, de publier des pertes d'exploitation trimestre après trimestre.
Pour John Cruickshank, l’application iPad du Toronto Star servira essentiellement à rajeunir le lectorat du quotidien. «Nous pensons que nous avons l’opportunité d’aller chercher une nouvelle génération de lecteurs en offrant une édition tablette», a-t-il déclaré. Il s’agit d’un objectif primordial pour l’organisation, puisque plusieurs annonceurs ont arrêté d’annoncer dans les journaux en raison du vieillissement de leurs lectorats.
«Le vieillissement du lectorat a eu un impact plus significatif sur les revenus des journaux que la diminution du lectorat», a expliqué John Cruickshank. L’éditeur du Toronto Star a illustré son propos en notant que plusieurs grandes marques avaient cessé d’annoncer dans les journaux après avoir constaté que les jeunes familles, une cible de choix pour celles-ci, n’étaient pas assez exposées à leurs contenus. Ainsi, selon lui, lancer une application iPad permettra au Toronto Star d’assurer la pérennité du financement de sa salle de nouvelles.
Toronto Star : Deux hypothèses douteuses
Toronto Star : Deux hypothèses douteuses
La stratégie de John Cruickshank repose donc sur deux hypothèses. D’une part, il prend pour acquis que les lecteurs supplémentaires que le Toronto Star ira chercher avec son application iPad seront des jeunes. Or, tandis que les téléphones intelligents sont plus populaires chez les 18-34 ans, les iPad, quant à eux, sont plus populaires au sein des 35-44 ans.
D’autre part, John Cruickshank semble croire que les revenus publicitaires générés par son application iPad seront suffisants pour couvrir les frais de licence imposés par La Presse pour l’utilisation de sa plateforme, pour défrayer le salaire des 60 nouveaux postes créés pour supporter le produit, et ce, tout en épongeant le déficit opérationnel du vaisseau amiral.
Lorsque je l’ai interrogé sur les tarifs publicitaires de l’application iPad du Toronto Star, John Cruickshank a répondu qu’il faudrait qu’elle devienne un média de masse pour pouvoir imposer des tarifs enviables : «Si on obtient une audience de 600 ou 700 000, on aura un levier pour vendre notre publicité à un premium», a-t-il expliqué.
C’est donc un copier-coller de la stratégie de La Presse+, en enlevant de l’équation l’ambition d’économiser sur les frais de distribution physique. Inutile de dire que, comme dans le cas de La Presse+, je doute fortement que les revenus publicitaires soient au rendez-vous. Par conséquent, je ne crois pas plus à la viabilité de l’app iPad du Toronto Star qu’à celle de La Presse+.