BLOGUE. Comme les disquaires et les clubs vidéo, les librairies vendent de la propriété intellectuelle dans des lieux physiques, avec des employés en chair et en os. Alors que la Boîte noire est sous la protection de la loi sur les arrangements avec les créanciers et que le club vidéo Beaubien a annoncé sa fermeture, il va sans dire que ce n’est pas une formule gagnante. En d’autres mots, les librairies vivent sur du temps emprunté.
S’il n’y a pas plus de librairies québécoises qui ont fermé leur porte, c’est en grande partie grâce à la loi 51 qui, adoptée en 1981, contraint les bibliothèques à acheter leurs livres au plein prix, auprès des librairies agréées de leur secteur. Au Canada et aux États-Unis, les bibliothèques achètent directement auprès des éditeurs et des distributeurs, de qui elles obtiennent des tarifs préférentiels.
La solution qui soulève les passions dans le milieu du livre québécois en ce moment ? Le prix unique, une mesure législative de contrôle des prix du livre. Concrètement, ce que l’industrie voudrait obtenir, c’est une loi interdisant aux détaillants d’accorder des remises de plus de 10 % sur le prix suggéré des nouveautés. Cette mesure, l’industrie aurait aimé la voir dans la loi 51 et remet régulièrement ce débat sur la table depuis lors. S’il revient dans l’actualité cet été, c’est qu’une commission parlementaire sur la question siégera à la fin du mois d’août.
Le but avoué d’une telle mesure est de permettre aux libraires de mieux concurrencer les grandes surfaces, qui accordent systématiquement des remises sur les best-sellers, quand ils ne les vendent pas carrément à perte. Et Amazon dans tout ça ? Il va sans dire que sa concurrence fait mal aux libraires québécois, mais je ne vois pas comment une loi québécoise pourrait avoir un impact sur les pratiques du détaillant en ligne, qui n’a pas de présence physique au Québec.
Quant aux livres numériques, ils pourraient être vendus moins cher que la version papier du même livre, même advenant l’adoption d’une loi sur le prix unique. En effet, puisqu’on leur donne des numéros ISBN différents, les éditions numériques sont considérées comme des éditions distinctes, au même titre qu’une édition compacte, par exemple.
Comme les principaux détaillants de livres numériques n’ont pas de présence au Québec, appliquer la politique du prix unique à la vente de livres numériques aurait l’effet contraire de celui recherché. Seuls les détaillants locaux de livres numériques, comme Renaud Bray ou LivresQuebecois.com, seraient contraints de respecter la loi.
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Le prix unique, une mesure tournée vers le passé
Clément Laberge, vice-président de De Marque, qui agit comme distributeur de livres numériques, participera à la commission parlementaire qui se penchera sur la question du prix unique. Joint au téléphone, il m’a expliqué qu’une éventuelle loi, par exemple, pourrait contourner les détaillants n’ayant pas de présence au Québec en récompensant les éditeurs qui s’assurent que leurs livres ne font pas l’objet de remises dépassant le seuil établi par la loi. Si vous vous intéressez à la question, je vous invite à suivre son blogue. Il y a d’ailleurs publié mercredi un billet sur cet enjeu, qui constitue le premier d’une série.
Même si on parvenait à appliquer la loi uniformément sur les livres québécois, aucune loi provinciale ne pourra empêcher les Québécois d’acheter des livres américains sur Amazon.com. L’adoption d’une telle loi permettrait peut-être à certaines librairies de subsister plus longtemps qu’elles auraient pu le faire autrement, mais pourrait du même coup faire mal aux éditeurs québécois. Selon l’Institut économique de Montréal, une telle mesure pourrait faire reculer les ventes de livres québécois de 17 %.
Dans les faits, le prix unique est essentiellement une mesure défensive conçue dans le contexte de l’émergence des grandes surfaces généralistes dans les années 1970 et 1980. Que l’industrie du livre y consacre de l’attention en 2013, alors que les rôles de tous les acteurs de l’industrie du livre sont à repenser, c’est plutôt triste. Ce retournement sur soi-même ressemble à s’y méprendre à la réaction de l’industrie du vêtement qui, dans les années 2000, réclamait des quotas d’importation.
Or, les manufactures de textiles ne m’ont jamais manqué, mais je sais que les librairies me manqueront. De plus, je m’inquiète du sort des maisons d’édition indépendantes. L’industrie du livre est à la croisée des chemins. Il me semble qu’elle devrait avoir assez confiance en elle pour aller de l’avant, même si cela implique de cheminer à tâtons, dans l’inconnu. Après tout, si je ne sais pas à quoi ressemblera l’industrie du livre dans 20 ans, je sais que les grandes surfaces n’y auront pas un grand rôle à jouer.