Tout le monde a entendu parler du Vice Fund, ce fonds commun qui, depuis son lancement en 2002, n’en finit plus d’alimenter les entrefilets des rubriques insolites des quotidiens du monde. Aujourd’hui géré par US Mutuals, le fonds n’a toutefois rien d’une boutade. En effet, en investissant dans les industries du vice, soit celles de la défense, des jeux de hasard, de l’alcool et du tabac, le Vice Fund a réussi à battre presque chaque année l’indice de référence S & P 500, en dégageant un rendement annuel moyen de 7,96 % depuis 2002, contre 6,19 % pour le S & P 500. En 2010, le fonds du vice a affiché un rendement de 18,04 %, contre 15,06 % pour le S & P 500.
L’argumentaire économique invoqué par le Vice Fund repose sur deux principes : les crises économiques ont peu d’impact sur les « industries du vice » et la nature des activités des entreprises qui y œuvrent les empêchent souvent d’être capitalisée à leur juste valeur, plusieurs investisseurs s’en détournant pour des raisons morales ou idéologiques, dont les exemples les plus évidents sont sans contredit les fonds chrétiens et éthiques.
Aussi, plusieurs des multinationales dans lesquelles investit le Vice Fund, malgré leur rentabilité indéniable, sont sur leur déclin. Tandis que les fabricants de tabac (Philip Morris) souffrent d’un affaissement pur et simple de leur marché, les grands brasseurs (Anheuser-Busch Inbev) et les distilleries (Diageo) souffrent du fractionnement du leur. Du côté des jeux de hasard, les sociétés cotées en bourse sont des équipementiers (IGT) et des opérateurs de casinos physiques (MGM Mirage), qui ne peuvent que perdre des parts de marché face aux casinos en ligne, qui opèrent dans une zone de gris juridique qui est pas favorable à une introduction en bourse. Finalement, la défense (Lockheed Martin) est probablement le seul secteur d’avenir dans lequel investit le Vice Fund.
Malgré les perspectives défavorables énumérées plus haut, le Vice Fund demeure un bon investissement, principalement grâce au facteur moral exposé plus haut. Imaginez, toutefois, pouvoir investir dans de grandes sociétés spécialisées dans le divertissement pour adultes et dans les jeux de hasard en ligne et sur téléphones cellulaires. Le rendement, c’est évident, serait au rendez-vous. Cependant, les entreprises plus performantes de ces secteurs peuvent difficilement s’inscrire à la bourse, principalement à cause du puritanisme des principaux acteurs de l’échiquier financier. Ces marchés, qui représentent pourtant des milliards de dollars, sont ainsi exploités par un grand nombre de petites entreprises privées, souvent sous-capitalisées.
Le meilleur exemple de ce frein moral qui rend difficile l’accès aux capitaux à des entreprises pourtant bien portantes est sans contredit l’entreprise canadienne Avid Life Media, qui exploite le très populaire site de rencontres extraconjugales AshleyMadison.com. L’entreprise, qui devrait réaliser un profit de 20 millions sur un chiffre d’affaires d’à peine 60 millions de dollars cette année, avait fait des démarches qui devaient ultimement la mener à être cotée au TSX en 2010, mais qui échouèrent… à cause des scrupules de Bay Street face à l’infidélité. Du reste, le site est loin de faire l'unanimité aux États-Unis, où sa publicité, reproduite ici-bas, n'a pas pu être diffusée lors du dernier Superbowl.
La morale n’est toutefois pas un frein irrémédiable au Canada. Une entreprise montréalaise cotée au TSX, Amaya Gaming Group, a annoncé le 22 février dernier le lancement d’une loterie par messages textes au Kenya, dont le slogan est « Kwachu Mamilli : Become Kenya's Next Millionaire ». Comme le taux de pénétration des téléphones cellulaires (30 %) dépasse de loin celui des lignes sèches (0,6 %) et d’Internet (8,6 %) au Kenya, une telle loterie semble à première vue prometteuse. Pour l’instant, je ne conseillerais à personne d’investir dans ce penny stock (action cotée en cents). Cependant, advenant que l’entreprise affiche un bilan solide, il est fort probable que plusieurs investisseurs soient malgré tout réticents à investir dans une entreprise misant sur le jeu de hasard dans un pays où le revenu per capita est de 770 $ US par année et dont 31 % de la population est sous-alimentée.