C’est la curiosité qui m’a amené à mordre à l’hameçon marketing d’IBM, qui a permis aux Montréalais de déguster des poutines conçues par Watson ce jeudi. Certes, j’étais curieux de goûter auxdites poutines, mais aussi, d’en savoir plus sur le fonctionnement de Watson qui, on s’en rappellera, avait battu les champions humains du jeu-questionnaire Jeopardy en 2011.
Depuis lors, la technologie d’intelligence artificielle d’IBM, qui est dans les faits une application infonuagique, a été introduite dans quelque 12 industries, de la médecine au droit en passant la finance.
Pour IBM, Watson n’est donc plus un simple projet de recherche, mais bien une franchise au potentiel commercial immense. Aussi, il n’est pas étonnant qu’IBM cherche à mousser la notoriété de Watson par l’entremise d’événements comme celui d’hier, inspiré par la première incursion de Watson dans l’univers de la poutine à l’occasion de la dernière édition de South by Southwest (SXSW).
Comment Watson est devenu cuisinier
Derrière le rideau, Watson analyse un grand volume de données non structurées, dont il tire ensuite des conclusions utiles pour ses utilisateurs. Une intervention humaine est toutefois nécessaire pour permettre à Watson de tirer les bonnes conclusions. Watson peut donc apprendre, mais pour qu’il change d’industrie, ses concepteurs doivent recourir à ce qu’on appelle l’apprentissage-machine supervisé.
Pour faire de Watson un chef, ses concepteurs ont d’abord versé dans le logiciel une matière brute constituée d’environ 50 000 recettes. Des humains ont ensuite informé Watson sur le niveau de plaisir généré par certaines recettes. « Watson analyse ces données pour comprendre quel genre d’ingrédients les gens ont mélangés dans leurs recettes dans le passé », explique Rick Power, directeur des solutions Watson au Canada.
Toutefois, Watson ne se limite pas à reproduire le passé, puisqu’il utilise sa capacité d’analyse pour tirer des conclusions. « Il tient compte de la composition chimique de chaque ingrédient et de la perception psychologique des humains pour savoir comment cela a un impact sur le goût », explique Rick Power.
Watson, un hameçon pour étudier le grand public
Au-delà de la publicité gratuite, la seconde raison qui explique l’intérêt d’IBM pour la cuisine est liée à l’une des fonctionnalités clefs de Watson. Sa capacité à communiquer les résultats de ses analyses en langage naturel, bref, de se faire comprendre de monsieur et madame tout le monde.
Watson étant un produit B2B, le produit ne compte qu’un nombre limité d’utilisateurs. Par conséquent, les concepteurs de Watson disposent de beaucoup moins de données pour améliorer la capacité de Watson à interagir avec des humains qu’en dispose, disons, l’équipe qui travaille sur Siri, l’assistante virtuelle d’Apple installée par défaut sur des millions d’iPhone.
C’est là où le chef Watson vole au secours d’IBM. En effet, le géant informatique offre le chef Watson en partenariat avec le magazine Bon Appétit, en version bêta, à un nombre limité d’utilisateurs. Toutefois, IBM vise à rendre cet outil disponible au plus grand nombre sur le Web. « IBM voulait trouver le moyen de mettre cette technologie entre le plus de mains possible lorsqu’un développeur de l’équipe, qui avait une formation de chef, a eu l’idée de concevoir le chef Watson », évoque Rick Power.
Watson ne semble pas savoir ce qu'est une poutine...
Maintenant que vous savez comment et pourquoi Watson est devenu cuisinier, vous vous demandez probablement comment il a fait pour concevoir la poutine canadienne-antillaise au homard (ma préférée) ou la poutine végétarienne haïtienne-grecque.
Pour passer du traitement de données à mon bol, Rick Power m’a expliqué que les chefs de l’Institute of Culinary Education, à New York, ont interrogé Watson en lui fournissant des mots clefs, après quoi il a généré une longue liste de recettes possibles. Ceux-ci ont ensuite fait des choix en utilisant leur jugement de chef : « L’outil est davantage un générateur d’idées originales », explique Rick Power.
Encore perplexe face à la capacité d’un ordinateur, aussi intelligent soit-il, à réinventer notre plat national, j’ai voulu aller plus loin en essayant la version bêta du chef Watson. Or, la version présentée lors de l’événement ne connaissait pas même le mot poutine! Même en lui proposant de générer des recettes contenant des frites, du fromage et de la sauce, le chef Watson n’est pas parvenu à me proposer une recette ressemblant de près ou de loin à de la poutine.
Lorsque j’ai questionné Rick Power à ce sujet, il était pris au dépourvu. Il a avancé que les chefs de l’Institute of Culinary Education utilisaient probablement une autre version du logiciel Watson. Je suis prêt à le croire. Malgré tout, je n’ai pu m’empêcher de penser que le chef Watson, du haut de sa logique imprenable et de sa connaissance fine de la chimie alimentaire, s’était peut-être révoltée lorsque les ingénieurs d’IBM lui ont demandé de créer de la poutine.