Vous allez me dire que je suis juge et partie. Et comment !
La décision du gouvernement fédéral, la semaine dernière, de ne pas taxer Netflix au Canada me choque comme elle aura choqué plusieurs de mes confrères journalistes. Pourquoi ? Parce que l'annonce était enchâssée dans la politique culturelle canadienne qui refuse aux médias d'information le soutien dont ils ont besoin pour passer le cap de la transformation numérique, pourtant un enjeu de société s'il en est.
Cette décision ne me choque pas seulement parce que je dirige un de ces médias d'information. Elle me choque parce qu'elle montre à quel point le GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) lamine toute volonté politique d'équité fiscale.
Netflix ne paiera pas de taxes parce que ce serait prendre le risque qu'elle refile la facture à ses clients, les téléspectateurs canadiens, explique le gouvernement. Ses prix n'en seront que meilleurs ; comme abonnée canadienne, je pourrais m'en réjouir. Toutefois, les diffuseurs de contenu qui servent notre marché en payant des taxes seront (sont !) de facto moins concurrentiels. Où est l'équité ?
Prenons le cas d'une autre entreprise majuscule, Amazon.
On sera certainement fiers si l'américaine élit domicile à Montréal. On se sentira irrésistibles, presque les rois du monde. Mais quelles concessions fiscales ce beau siège social nous coûtera-t-il ? Je ne parle pas seulement des crédits d'impôt ou autres avantages du genre qu'on accordera à Amazon. Je parle du levier démesuré que ce géant aura sur le gouvernement, lequel n'aura plus d'oreille pour les détaillants québécois étranglés par le commerce électronique transfrontalier. Les consommateurs continueront de privilégier la plateforme d'Amazon pour faire leurs achats, parce que c'est là qu'ils trouveront les meilleures aubaines. En effet, nombre de détaillants tiers qui distribuent sur Amazon affichent de meilleurs prix, puisqu'ils ne perçoivent pas les taxes, contrairement aux commerçants d'ici.
Dans l'affaire Netflix, le gouvernement explique qu'il n'y aura pas de taxes parce qu'il s'est engagé à ne pas augmenter les impôts. Là encore, à quels impôts fait-on allusion ? Parlez-en aux patrons de PME, et beaucoup vous diront que leurs impôts à eux ont toutes les chances d'être augmentés si la réforme Morneau passe le vote.
On le voit, limiter la facture fiscale des uns ne signifie pas «ne pas augmenter les impôts» des autres. Et à dire vrai, si on se soucie de la facture fiscale de la classe moyenne, on devrait commencer par se soucier de celle des employeurs. Parce que la classe moyenne a besoin d'un emploi avant d'avoir «besoin» de Netflix.
Julie Cailliau
Rédactrice en chef, Groupe Les Affaires
julie.cailliau@tc.tc