Peut-être, comme moi, avez-vous été intriqués par la manchette publiée en première page du journal La Presse qui titrait : « Montréal en queue de peloton » . L’article en question nous apprenait que Montréal se situe au 629 rang des 686 municipalités évaluées. Comme l’étude sur laquelle se basait cet article a été réalisée par le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal , j’ai souhaité en faire une lecture attentive. L’étude en question, disponible sur le Web, est remarquablement bien faite. Elle ne tire pas des conclusions aussi percutantes que l’article du journal La Presse. En fait elle se concentre sur une analyse de la performance de la gestion des villes du Québec et ce selon 11 indicateurs de performance tout en y apportant plusieurs nuances.
J’ai eu l’occasion de payer des taxes à Montréal pendant près de 30 ans. Maintenant, j’habite le plus beau village du Québec, St-Placide. Un village si petit qu’il n’apparait même pas sur le radar de l’étude des HEC. Avec une population de 1718 habitants et une maison plus grande que celle que j’habitais à Montréal, j’y paye 3 fois moins de taxes.
CQFD! Montréal est une ville inefficace, une dernière de classe, bref une ville « looser »! Pour m’en convaincre davantage, et comme je n’avais pas la donnée pour St-Placide, je suis retournée à l’étude des HEC. J’y ai pris, pour les principaux indicateurs de l’étude, la moyenne des plus petites villes recensées, celles ayant entre 10 et 25 000 habitants. À partir de ces moyennes, présentées au tableau qui suit, j’ai créé une ville imaginaire que j’appellerai Ste-Petite-Ville. Moins belle et sûrement moins efficace que St-Placide, cette ville n’en est pas moins meilleure que cette « queue-de-peloton » qu’est Montréal.
Voyons ce que nous apprennent ces chiffres.
Alors que Montréal compte plus de 1,6 millions d’habitants, Ste-Petite-Ville en compte entre 10 et 25 000. Les dépenses par habitant à Montréal se situent à 2 159$ alors qu’elles sont de 1,675$ à Ste-Petite-Ville. Les coûts de voirie par KM de route y sont respectivement de 32 470$ versus 12 527$ alors que ceux du déneigement, toujours par KM sont de 16 365$ contre 4 783$. Les coûts pour le service de police sont de 307$ par habitant à Montréal et de 184$ à Ste-Petite-Ville. Les coûts de gestion des eaux usées sont de 0,13$ par mètre cube contre 0,19$. Finalement les coûts pour la gestion des déchets et de matières recyclables y sont respectivement de 60$ et 37$ à Montréal contre 62$ et 36$ toujours à Ste-Petite-Ville.
A la lecture de ces chiffres, 3 constats s’imposent.
1- Contrairement à ce que disait l’article de la Presse, Montréal bénéficie d’économies d’échelles mais uniquement là ou cela est possible. Le traitement des eaux usées, la gestion des déchets par habitant ainsi que le programme de recyclage y sont aussi efficace voire plus efficace que dans une petite ville. Le traitement de l’eau potable demeure cependant nettement moins efficace.
2- Montréal est beaucoup moins efficace pour les autres services mais compare-t-on vraiment des comparables? Le service de police y coûte plus cher qu’à Ste-Petite-Ville. Mais je suis prêt à parier que cette dernière n’a pas les problèmes d’une grande ville comme Montréal. La mafia, les gangs de rue, le crime organisé, la prévention des émeutes et du terrorisme, les manifestations y sont, là comme chez moi à St-Placide, moins présents. Même chose pour le service des incendies. Je parierais que d’intervenir à St-Placide ou à Ste-Petite-Ville est moins difficile que d’intervenir à la Place Ville-Marie ou à l’hôpital Ste-Justine. Déneiger la rue principale de mon village est aussi moins difficile que de déneiger l’autoroute Décarie ou... le Plateau Mont-Royal. Même chose pour les coûts de voirie, il y a peu de camions qui passent par mon village, il y a aussi moins d’entreprises. Mon village n’accueille pas un million de travailleurs par jour en provenance de ses banlieues. Bref, lorsqu’on y pense, Montréal est peut-être une des régions ressource du Québec!
3- Finalement on constatera que la bureaucratie est à peine plus lourde à Montréal qu’à Ste-Petite-Ville, 17,9% versus 17% de l’ensemble des dépenses. Pour Marcel Côté qui souhaite se défaire du tiers des cadres de la ville, le défi sera de taille.
Alors que la campagne électorale va de l’avant avec son cortège de promesses, alors que tous les candidats ne parlent que de dépenses quelqu’un aura-t-il le courage de dire que la situation de Montréal fait en sorte qu’une fiscalité presqu’entièrement basée sur l’évaluation foncière ne tient plus la route. Alors que près d’un million de personnes passent plus de temps à Montréal que chez eux, utilisant l’eau, les parcs, la police, la voirie et j’en passe, ne serait-il pas temps de repenser sa structure de revenus? Actuellement un seul candidat à la mairie en parle de manière manifeste mais, malheureusement pour Montréal, ce candidat se présente à la mairie de Québec.
Ce dont je parle ici c’est de négocier un nouveau pacte fiscal avec Québec. Oh! le méchant mot que plus personne n’ose prononcer à Montréal. Ce fut le leitmotiv d’un autre maire, Gérald Tremblay qui, sur cette question, avait pourtant bien raison.
Chères candidates et chers candidats, quand allez vous enfin parler de la colonne des revenus? Remarquez que pour moi qui vais aller à Montréal aujourd’hui pour une série de réunions et qui y resterai ce soir pour aller au théâtre, je ne souhaite pas nécessairement qu’un nouveau pacte fiscal soit mis en place. Après tout je profite si bien de cette grande ville pour laquelle je ne paie pratiquement plus rien.
À bien y penser, Montréal est surement LA région ressource du Québec!
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Jacques Nantel enseigne à HEC Montréal depuis 1981. Au sein de HEC Montréal, il fut successivement directeur du service de l'enseignement du marketing, titulaire de la Chaire de commerce de détail Omer DeSerres et directeur des programmes. En 2002, il devient le premier titulaire et fondateur de la Chaire en Commerce Électronique RBC Groupe Financier. De 2007 à 2012 il a occupé les fonctions de Secrétaire général de cette institution.
Jacques Nantel est membre ou a été membre de plusieurs conseils d'administration d’entreprises et d’organismes dont : Groupe Vidéotron, PLB international, Groupe Renaud-Bray, Groupe Pierre Belvédère, Hotels Germain, BMO Advisory Board on Retirement ainsi que de Centraide du Grand Montréal.