Pierre Karl Péladeau doit-il vendre ou non, sa participation dans Québecor? Les experts en gouvernance Yvan Allaire et Michel Nadeau viennent de suggérer une avenue de solution intéressante. Mais a-t-elle une chance?
Messieurs Allaire et Nadeau suggèrent de prendre les actifs médias qui sont dans Québecor et de les transporter dans la société TVA. Les actifs visés sont essentiellement les participations dans les médias Sun, le Journal de Montréal et le Journal de Québec (et les journaux régionaux si leur vente à TC Transcontinental n'est pas approuvée par le Bureau de la concurrence).
Québecor détient 51,4% de participation économique dans TVA, mais 99% des droits de vote, grâce à des actions multivotantes. Pour racheter ces actifs, TVA effectuerait une émission d'actions, de sorte qu'au final, sa participation économique descendrait sous les 50%. Il suffirait ensuite que, du même souffle, Québecor accepte de convertir ses multivotantes en actions ordinaires. Les voix de Québecor baisseraient ainsi sous les 50%, et l'on aurait une majorité d'administrateurs indépendants.
Une bonne idée?
Il faut saluer le travail de messieurs Allaire et Nadeau, qui fait nettement avancer la discussion et propose une solution intelligente.
Deux choses cependant.
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Comme ils le reconnaissent eux-mêmes, une telle opération est effectivement difficile. Et tout dépend au final de ce que serait la hauteur du bloc d'influence de monsieur Péladeau.
Là où c'est complexe
Il faut d'abord que monsieur Péladeau accepte que Québecor renonce à ses multivotantes. Il est vrai que les activités médias ne pèsent plus pour beaucoup dans Québecor (12% des profits). La vache à lait est Vidéotron, et l'opération lui permettrait de garder le contrôle de son principal actif. Il n'en reste pas moins que monsieur Péladeau semble habité d'un profond sentiment de mémoire à son père, et que relâcher le contrôle de ces actifs ne doit pas être très facile émotionnellement. Il a aussi souvent dans le passé utilisé ses actifs pour la promotion de ses projets, ce serait une perte d'influence importante.
Cela dit, ce n'est pas ici que pourrait résider la plus grande difficulté. Pierre Karl Péladeau a dit en début de semaine qu'il se conformerait à une éventuelle décision du commissaire à l'éthique, ce qui est peut-être indicatif qu'il est prêt à envisager un tel scénario.
La grande difficulté réside plutôt dans l'intérêt que pourrait avoir les actionnaires minoritaires, et les administrateurs indépendants de groupe TVA à voter en faveur d'une telle opération.
TVA bénéficie déjà des synergies associées aux journaux de Québecor. À quoi bon investir dans une industrie dont les perspectives sont en déclin? Les résultats des médias imprimés connaissent des reculs importants. Selon eMarketer, le temps passer à la lecture des journaux américains est passé de 33 minutes par jour en 2009 à 22 minutes en 2012. La part de marché de l'enveloppe publicitaire globale a, quant à elle, chuté de 16,8% à 11,5%.
Il suffit de voir l'impact de telles tendances sur les résultats des différentes sociétés de journaux qui enchaînent compressions sur compressions.
Cette acquisition ne serait en rien stratégique pour TVA et on voit mal quel avantage elle en retirerait. À moins d'obtenir les actifs à rabais, ce qui transformerait l'opération en une occasion financière (un rapide pay back). Le problème est que, si les actifs sont cédés à rabais, ce sont alors les actionnaires minoritaires et les administrateurs indépendants de Québecor qui auraient motif de se plaindre.
Sans dire que l'opération est vouée à l'échec, sa probabilité de succès apparaît, à première vue, très faible. Il faudrait monter un plan de développement pour les journaux de Québecor pour que les minoritaires et les indépendants de TVA deviennent intéressé, ce qui n'est pas simple.
Et même si l'opération fonctionnait…
Et même si l'opération fonctionnait...
Supposons maintenant que l'opération fonctionne, le problème est-il pour autant réglé?
Ça dépend.
Quelle serait au juste la hauteur de participation restante de Québecor dans TVA?
En théorie, le simple fait d'être sous 50% devrait faire en sorte qu'il y ait plus d'administrateurs indépendants et l'influence de monsieur Péladeau serait diminuée.
On dit en théorie parce que, dans la réalité, ce n'est pas toujours comme cela que fonctionnent les entités. Il arrive souvent que même sans avoir 50% des votes, un actionnaire puisse assez aisément faire la pluie et le beau temps. Il lui suffit d'avoir quelques accointances, qu'il amène au capital ou à la table du conseil, et le tour est joué. La notion de ce qu'est un administrateur indépendant est en outre malléable. Après trois ans, un ancien employé de Québecor pourrait se qualifier comme administrateur indépendant.
Il faudrait donc voir quelle serait la hauteur de participation que conserverait Québecor dans TVA après la transaction.
À 25%, il n'y aurait plus d'inquiétude, à 45%, ce serait autre chose. Normalement, la participation de Québecor devrait fondre significativement (on arrive à 25% sous certaines hypothèses), mais, en raison du potentiel incertain des journaux dont a discuté plus haut, il est probable qu'il ne se trouve pas suffisamment d'investisseurs prêts à financer TVA en nouvelles actions. Et que Québecor soit elle-même forcer de participer (ce qui lui maintiendrait une forte position).
L'idée est bonne, et mérite d'être explorée. Mais elle n'est vraiment pas facile à exécuter.
Sondons quand même monsieur Péladeau et le marché.
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